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mémoire d’Helvétius et de Cabanis, le reçut également dans l’Allier, en son manoir bourbonnais de Paray-le-Fraizil.

Paray-le-Fraizil, c’est la Grange en petit. Même société, mêmes savantes causeries, même idéal de liberté. L’opposition toutefois s’y montre plus discrète, plus mesurée, moins agressive et directe. Destutt appartient au groupe doctrinaire auquel répugnent les coups de force.

A Paray, il mêle au milieu des siens une existence à la fois mondaine et familiale. L’ainée de ses filles, Emilie, est devenue Mme Georges de La Fayette ; Victor, son fils, a épousé la veuve du général Letort, la très belle, savante et spirituelle, Mary Newton qui nous a laissé sur la vie et les travaux de son beau-père une remarquable notice, dont le salon comptera sous Louis-Philippe parmi les cénacles littéraires et politiques les plus brillants de Paris. Des hôtes choisis : le comte Louis de Narbonne, Beugnot, Daunou, Guizot, viennent fréquemment apporter dans la retraite du philosophe les nouvelles de la cour et de la ville, l’écho souvent tumultueux des événements.


VII. — LES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE

Le Censeur Européen brutalement supprimé, Augustin Thierry voyait disparaître l’instrument de la révolution historique dont il rêvait d’être le héraut. Il recourut à ses amis ; La Fayette et Destutt de Tracy l’adressèrent à Kératry, directeur du Courrier Français, qui s’empressa d’agréer sa collaboration.

Le Courrier Français n’était point, comme le Censeur Européen, une feuille de combat hostile à la monarchie, mais l’organe des Doctrinaires où ils formulaient une opposition strictement constitutionnelle, cherchant dans une éloquente autant qu’incertaine métaphysique à réconcilier les deux Frances dressées l’une contre l’autre : celle de l’Ancien Régime et celle de la Révolution. Pareil journal, ménageur de toutes susceptibilités, ennemi de toute véhémence, partisan des demi-teintes et des précautions discrètes, était aussi peu que possible le levier expédient que rêvait pour sa grande réforme l’esprit belliqueux d’Augustin Thierry. Il devait bientôt s’en apercevoir.

Il avait fait agréer par M. de Kératry le projet d’une suite de Lettres sur l’Histoire de France. Originellement, elles devaient être données en « variétés »tous les dimanches ; dès la troisième,