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Sa naissante renommée lui valait en outre de nouer les plus flatteuses relations. En 1820, Villemain l’avait introduit chez la duchesse de Duras. Auparavant, nous le trouvons en rapports avec le duc Victor de Broglie qui le recevait volontiers rue d’Anjou. Outre les débris de l’ancien salon de Staël : La Fayette, Benjamin Constant, de Custine, Mathieu de Montmorency, les chefs de l’opposition parlementaire et la jeune aristocratie libérale fréquentaient cette accueillante maison où les doctrinaires tenaient ordinairement le dé. Les « sages » du parti : Royer-Collard, Guizot, de Serres, Camille Jordan, s’y rencontraient avec Molé, Decazes, Ch. de Rémusat, de Barante, Beugnot. Un essaim d’élégantes jeunes femmes, Mmes de Castellane, Anisson, de Sainte-Aulaire, égayaient ces réunions de leur présence, où leur babil mondain tempérait la gravité des conversations politiques. Énigmatique et distant, Talleyrand faisait de loin en loin une fugitive apparition.

À son tour, Augustin Thierry avait amené son frère, entré depuis peu à la Minerve. Le jeune homme sut intéresser le marquis de Sainte-Aulaire, à la famille duquel la plus étroite amitié ne cessa point de l’unir jusqu’à sa mort. Chaleureusement recommandé par ce bienveillant protecteur auquel se joignirent les Broglie, le prince de Talleyrand lui confia en 1818 l’éducation de ses enfants.

Quand venaient les vacances, les fils de Jacques Thierry allaient le plus souvent les passer près de leurs parents, dans la maison de la rue des Violettes. La réputation un peu tapageuse de l’aîné l’accompagnait dans sa petite ville. Lorsqu’ils l’apercevaient rue Porte Chartraine ou rue Pierre de Blois, les bonnes gens se montraient d’un air scandalisé « le fils du père Thierry, ce gros bonhomme à la redingote verte » qui se mêlait d’écrivailler, et haussaient dédaigneusement les épaules. Demeurée très pieuse, la pauvre Mme Thierry gémissait de voir son Augustin bien-aimé renoncer à ses dévotes habitudes d’enfance, implorait la Vierge et les saints pour le salut compromis de son âme.

Sur les bords de la Loire, les deux frères retrouvaient de chères affections, compagnons d’enfance ou camarades de collège. C’étaient alors d’amusantes parties dans les forêts de Russy et de Chambord, aux ruines du Mesnil d’Orchaise, en cette vallée de la Cisse qu’a chantée Ronsard. Augustin Thierry, que les infirmités ne gagnaient pas encore*, dépouillait sa gravité précoce