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Fondé au mois de juin 1814, le Censeur, ou pour lui donner son titre complet, le Censeur ou examen des actes et des ouvrages qui tendent à détruire ou à consolider la constitution de l’État, avait tout de suite pris la première place parmi les organes d’opposition qui défendaient les doctrines libérales. Interdit et mis au pilon en 1815, le recueil devenu Censeur européen venait de ressusciter au mois de février 1817, à la faveur des tendances modérées affirmées par le cabinet Richelieu. Il s’imprimait rue Gît-le-Cœur, portait en épigraphe ces deux mots : Paix et Liberté et se proposait de combattre « l’influence du sabre sur la logique, de la moustache sur la raison. »

Dans la préface de Dix ans d’Études historiques, Augustin Thierry nous définit très exactement son état d’esprit et ses aspirations à cet instant décisif de sa carrière. « A la haine du despotisme militaire, fruit de la réaction contre le régime impérial, se joignait en moi une profonde aversion des tyrannies révolutionnaires et, sans aucun parti pris pour une forme quelconque de gouvernement, un certain dégoût pour les institutions anglaises dont nous n’avions alors qu’une odieuse et ridicule singerie. » Ne pouvant, à cause des lois sur la presse, en risquer la démonstration, il résolut, par un détour subtil, d’étudier l’histoire d’Angleterre et, grâce à ce subterfuge, tirer d’événements en apparence étrangers les conséquences qu’un lecteur perspicace pourrait appliquer au royaume.

Au collège de Blois déjà, sous la direction de M. Mieg, Augustin Thierry avait réussi à pousser assez avant ses études en anglais. Un heureux concours de circonstances va lui permettre de se perfectionner dans cette langue. Sur les bancs de l’Ecole de Droit, Amédée Thierry s’était lié d’amitié avec un jeune Londonien qui l’avait présenté à son père. A son tour, il s’était empressé d’introduire son aîné dans la maison de M. George Morisson.

Venu en France pour la santé de son fils, accueilli avec faveur au plus fort de cette vague d’anglophilie qui déferlait sur le pays, au lendemain de Waterloo, celui-ci, ancien oxonien, était un homme savant et cultivé. Il s’intéressa aux deux frères. Plusieurs fois la semaine, son appartement de la rue Saint-Florentin se transformait en foyer d’études où il révélait et commentait à ses auditeurs les historiens anglais du XVIIIe siècle. En même temps qu’il pénétrait leur pensée, Augustin Thierry