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brûlant et bas décoiffait les grandes moissons qui jamais ne furent aussi belles.

Vous, au bord des mers, vous laissiez le soleil vous faire un teint de bédouine, et vous admiriez des couchants normands ou bretons devenus presque africains, leurs orangés étranges et leurs horizons de citrons verts.

Mais moi, dans Paris « la grand’ville » je regardais tomber les feuillages, se flétrir les fleurs et cuire les pierres, même à l’heure du soir, cette heure estivale et citadine entre toutes, où, dans l’arôme de la poussière, du crottin et du pétrole, tous les concierges, d’un seul coup, fleurissent devant toutes les portes et forment aux rues une bordure, comme les mignardises aux jardins de curé.

Et les moustiques même étaient morts. Et les chiens ne tiraient plus la langue, mais une langue traînait jusqu’à terre, qui, derrière elle, tirait un chien.

Les premières lueurs de l’éclairage de la ville défaillaient dans un halo caniculaire et semblaient prêtes à s’évanouir de palpitations de cœur. La lune se levait, d’une pâleur créole ; et le soleil rapetissé s’était couché dans une brume de cataclysme ainsi qu’en un climat malsain de fièvre et de torpeur.

O camphre, ô batistes, ô housses des lustres ! ô pianos d’été dont on imagine les touches chaudes et qui miauliez comme de grands chats dans les rares instants de silence, pianos qui remplacez à Paris si désavantageusement la grenouille et la cigale, éventails chinois, pieds nus dans les mules, sorbets, travaux, paresses, amitiés ou solitude, rien ne consolait d’habiter Paris et d’avoir si chaud.

Car je pourrais, n’est-ce pas, vous raconter que cette saison-là, à Paris, fut exquise (vous n’y étiez pas. madame, ni vous, ma chère, non plus) et vous n’y verriez que du feu et vous regretteriez peut-être d’être parties. Mais pourquoi mentir ? Même au risque de paraître moins véridique, pourquoi n’être pas sincère ? Pourquoi ne pas avouer que le seul foyer de la cigarette paraissait un intolérable incendie et que notre cher Paris somnolait d’ennui parce qu’il n’avait pas su garder, pour se distraire et pour l’exciter d’un coup d’éventail, le Hasard et la Fantaisie. Celle-ci, expirant de chaleur, s’était réfugiée, m’a-t-on dit, dans un astre en train de s’éteindre, et s’y balançait dans un hamac nébuleux, dédaignant même de laisser tomber