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a mis les pieds dans le plat : « Il est venu, a-t-il dit, un milliardaire américain qui a expliqué franchement les motifs de l’accord.. C’est à savoir que l’Amérique veut avoir une base asiatique en cas de guerre avec le Japon. » Et il précise que le gouvernement des Soviets se propose de louer le Kamtchatka à l’Américain qui le demande : « Nous allons encore accentuer par ce traité le désaccord entre les adversaires. » Ainsi Lénine explique sa politique de « concessions » aux capitalistes étrangers. M. Washington Vanderlip représente un très puissant syndicat qui groupe les grandes firmes et banques de l’Ouest ; il prendrait à bail pour soixante ans tout le Nord-Est Sibérien jusqu’au 160e méridien. On y a, parait-il, découvert deux vastes gisements de pétrole. Pétrole ! Comme autrefois l’or, c’est aujourd’hui le pétrole qui attire l’expansion des grandes Puissances. La politique, c’est le pétrole. Il faut du pétrole dans la paix et il en faut pour la guerre. Il y a du pétrole à Sakhaline et les Américains n’admettent pas que les Japonais s’y établissent. Il y en a au Kamtchatka et ils prétendent s’y établir eux-mêmes, mais les Japonais protestent. Le gouvernement indépendant de Tchila a cédé, par un traité en bonne et due forme, le Kamtchatka au gouvernement de Moscou (30 décembre 1920) qui a pu le louer au syndicat Vanderlip. Krassine affirme que c’était, pour le gouvernement bolchéviste, la meilleure manière de sauvegarder la souveraineté et les droits de l’Etat russe. Les bolchévistes cherchent ainsi à entraîner les États-Unis à une reprise des relations économiques ; ils n’y ont pas réussi jusqu’à présent ; le gouvernement de l’Union n’a donné aucun appui officiel au syndicat Vanderlip. Le Cabinet de Tokyo n’en a pas moins fait toutes ses réserves sur « un acte qui empiète sur les droits reconnus au Japon par traité à l’égard de la Russie, ou qui contrecarre ses intérêts vitaux, tels qu’ils résultent de sa situation géographique et d’autres raisons. »

Si le gouvernement des Soviets a voulu envenimer les relations entre Américains et Japonais, il y a réussi ; il a jeté du pétrole sur le feu. Le meurtre, par une sentinelle nippone, du lieutenant de vaisseau américain Langdon à Vladivostock (8 janvier 1921) provoqua, sur ces entrefaites, une violente émotion aux États-Unis ; mais le Gouvernement japonais, ayant reconnu que le soldat nippon était dans son tort, eut la sagesse d’accorder, de bon gré et largement, toutes les satisfactions que