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mai 1920, alors que Nicolaïevsk était encore bloqué par les glaces, les bolchévistes massacrèrent horriblement la garnison japonaise, plus de trois cents soldats et officiers, une quarantaine de marins, un consul et plus de quatre cents civils japonais. Les Japonais ont encore une garnison à Vladivostock, où ils sont en contact avec l’armée rouge, et gardent la partie Nord de l’île de Sakhaline[1] où ils annoncent l’intention de s’établir à demeure.

De loin, le butin peut nous paraître maigre après de si vastes rêves ; mais Sakhaline est une grande île qui ferme la mer du Japon et achève d’en faire un lac nippon ; elle a du charbon et du pétrole et ses côtes sont très poissonneuses. Et c’en est assez pour émouvoir les Américains. Déjà avant la guerre, les Japonais ont évincé leur commerce de Mandchourie où il dominait avant 1903 ; les Yankees tiennent absolument à ce qu’en Sibérie, comme en Chine, la porte ouverte ne soit pas une fiction, car les intérêts et les visées d’avenir de leur commerce en Sibérie orientale sont beaucoup plus importants qu’on ne le croit généralement. Quand ils rachetèrent, en 1867, l’Alaska à la Russie, les Américains crurent avoir fait une médiocre affaire ; mais l’or du Klondyke a « payé » au centuple. Les Américains savent que, géologiquement, la péninsule des Tchouktches continue, en Asie, l’Alaska américain ; l’or y abonde, presque inexploitable, tant le froid gèle profondément le sol ; mais on y a découvert d’autres richesses : pêcheries, fourrures, forêts, minerais, charbon, naphte. Les Américains voudraient être maîtres de deux rives du détroit de Behring ; ils n’oublient pas le projet de chemin de fer de la compagnie franco-américaine « Transalaskan-Railway » qui relierait l’Ancien et le Nouveau-Monde. La presse japonaise dénonce sans cesse les ambitions des Américains dans le Nord de l’Asie : elle a accusé un Américain, M. Washington Vanderlip, d’avoir voulu acheter aux Russes le Kamtchatka et la presqu’île des Tchouktches (octobre 1920). La politique des bolchévistes paraît être précisément de neutraliser l’un par l’autre leurs concurrents ; ils encouragent les Américains pour refréner l’appétit des Japonais : la diplomatie et la propagande sont des armes qu’ils manient dangereusement. Lénine, selon sa méthode,

  1. La partie Sud leur appartient en vertu du traité de Portsmouth.