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Le 1er novembre, veille de la signature de la convention Ishii-Lansing, M. Krupenski, ambassadeur de Russie à Tokyo, écrit à M. Sazonoff : « J’ai l’impression, à la suite de mon entretien avec le vicomte Motono, qu’il se rend bien compte de la possibilité de malentendus futurs, mais est d’avis qu’alors le Japon aurait à sa disposition des moyens plus efficaces que les États-Unis pour faire prévaloir son interprétation. » Si ce texte n’a pas été altéré par les bolchévistes qui ont publié toute cette correspondance, il a la valeur d’un aveu ; et l’on s’étonne moins qu’il ait pu échapper à la prudence du grand homme d’État qu’était M. Motono, si l’on se souvient que la Russie et le Japon s’étaient alliés par le traité secret du 3 juillet 1916 pour un partage exclusif d’influence en Chine.

Le Traité de Versailles, conformément aux accords secrets de février-mars 1917, donne toute satisfaction aux Japonais. L’article 156 s’exprime ainsi : « L’Allemagne renonce, en faveur du Japon, à tous ses droits, titres et privilèges, concernant notamment le territoire de Kiao-Tchéou, les chemins de fer, les mines et les câbles sous-marins, — qu’elle a acquis en vertu du traité passé par elle avec la Chine, le 6 mars 1898, et de tous autres actes concernant la province du Chan-Toung. »

C’est un cadeau splendide que les Alliés ont fait au Japon, car le Chan-Toung a plus de trente millions d’habitants ; c’est l’une des régions les plus riches de la Chine ; les Allemands y avaient fait de larges dépenses de mise en valeur économique, construit plus de 400 kilomètres de chemins de fer (de Tsing-tao à Tsinan-fou) et obtenu la concession de deux autres lignes. Le Chan-Toung est aussi la province énergique et virile où se recrutent les bons soldats et ces merveilleux colons qui peu à peu chinoisent la Mandchourie.

Les alliances se payent ; les Alliés ont largement récompensé la modeste participation du Japon à la lutte contre l’Allemagne. Mais la Chine a refusé de signer le traité de Versailles, les États-Unis ne l’ont pas ratifié, la Russie en est absente. Les Alliés ne pouvaient se dispenser de tenir leurs engagements à l’égard du Japon, mais ils peuvent déjà constater qu’en Extrême-Orient ils ont semé pour l’avenir des difficultés et des conflits ; leur diplomatie ne manquera pas de conseiller au Japon de n’user des droits que lui transfère le traité que pour obtenir, de la bonne volonté du Gouvernement chinois, des