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Waldeck-Rousseau avait deux formules, — si on veut, deux principes, — qui exprimaient bien, non pas sa politique, mais la politique : « Il suffit d’avoir raison, l’heure vient toujours où on le reconnaît ; » et puis : « Ce que le peuple ne pardonne pas, ce sont les fautes qu’on lui a laissé commettre. » Au contact de ce souple et viril esprit, dont les fines nuances dans la pensée et dans la parole n’empêchaient pas que la chaîne en fût tissée de pur acier, M. Millerand, à la quarantième année, a appris, sans copier le modèle, en s’en inspirant pour saisir le profit de l’expérience avec ses qualités propres, l’art de gouverner les hommes.

Il aime, par-dessus tout, la clarté dans les situations, et à ses risques, souvent on se portant dommage, il définit sa pensée avec quelque rudesse. Il ne recherche pas cette popularité secondaire qui n’est qu’une monnaie grossière, et si sa main avait jamais été tendue, ce n’eût pas été vers un autre salaire que celui que paie le devoir accompli. Il dit ce qu’il veut dire. Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Notre âme latine n’aime-t-elle pas mieux le charme ? La souplesse qui enveloppe, et qui, par des circuits, finit par arriver au but, vaut-elle politiquement, et si elle vaut à ce point de vue, vaut-elle moralement plus que la force qui va devant elle ? La marche ainsi comprise ne conduit-elle pas à heurter les âmes, même les plus propices, et ne méprise-t-elle pas trop les impondérables ? Mais la souplesse excessive ne conduit-elle pas quelquefois au chemin des concessions irrémédiables ? On en dissertera longtemps. La perfection voudrait l’emploi, par la même main, selon les cas, des deux méthodes. Et les sceptiques, à qui rien n’est sacré, déclareront qu’après tout, un système succédant à l’autre crée l’équilibre dans le temps. Sans y croire, ils acceptent ainsi l’hypothèse de l’Eternité.

M. Millerand a toujours aimé la politique, la politique réaliste. Dès 1889, il s’adonnait aux débats financiers et économiques, et recherchait la discussion souvent aride où sa parole, marquant chaque argument d’une empreinte, ne s’égarait jamais. Il fut un des premiers, le premier peut-être au Parlement, à se pencher sur les revendications des travailleurs, à les dépouiller, s’il était nécessaire, de leur outrance, à les réduire au juste, et a les traduire non seulement par des discours d’une portée généreuse, mais par des actes. Il est certes un fils de la Révolution, mais il se tient assez près de la Révolution de 1848 dont, bien entendu, aidées par l’expérience, ses mains ont rejeté les sublimes