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a là des choses fort plaisantes, qui feraient la joie de M. Albert Carré, et la nôtre.


Jeunes beautés, sous ce feuillage
Qui vous présente un deux ombrage,
Bravez le jour et la chaleur.


C’est le « chœur des baigneuses, » au second acte des Huguenots. Baigneuses d’autrefois, à peine dévêtues, chastement enjuponnées de gaze, et prenant entre des lames de verre, lesquelles figurent le Cher au pied du château de Chenonceaux, des poses décentes et de pudiques ébats. Musique un peu passée, mais encore agréable, coulante, à laquelle je préfère toutefois, pour l’humide et fraîche impression que vraiment elles causent, une vingtaine de mesures d’orchestre avant le lever du rideau.

Plus près de nous, la Sapho de Gounod s’achève par un bain, ou par un plongeon, fameux entre tous, dont la préparation psychologique et musicale (arioso, récits et stances) forme quelques-unes des pages maîtresses, les plus nobles peut-être, du musicien.

Rappellerons-nous d’autres baignades lyriques, et parfois mortelles aussi ? Loreley est un lied admirable de Liszt, sur la poésie d’Henri Heine : admirable de ligne mélodique, admirable d’accompagnement et presque de symphonie au piano, admirable même, — pur moments, — de mystérieux et funeste silence. Debout sur son rocher, qui domine le fleuve, Loreley peigne sa chevelure d’or avec un peigne d’or. Elle chante, et son chant attire le pêcheur et le perd. Tout est sensible à notre oreille, j’allais ajouter à nos yeux. Nous croyons tout entendre et tout voir, le paysage et la vierge fatale, la sirène et sa chanson, et le fleuve, dont les flots, après le naufrage, redisent encore longtemps le secret de mélancolie, de malheur et de mort : « Et voilà ce que Loreley a fait avec son chant. »

Sœurs de Loreley, mais sœurs innocentes et douces, les filles du Rhin forment, au début du Rheingold, un ravissant trio de nageuses. Il n’y a peut-être pas dans la musique entière de plus mélodieuse ou mélodique, harmonique et symphonique « pleine eau. »


Pâle et blonde,
Dort sous l’eau profonde
La willis au regard de feu.


Qui pourrait l’oublier, ne l’eût-il vue qu’une seule fois, pâle et blonde elle-même, avec ses yeux de willis, la baigneuse imprudente, égarée, l’Ophélie que fut naguère, — il y a longtemps, — Christine