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seulement sonner la cloche du château. Puis ce bruit même s’arrêta presque aussitôt, car des gens du village menaçaient de tuer le sonneur.

C’est ainsi que sous les injures des hommes et dans le silence des choses, fut enterré le comte Tisza, vrai personnage de tragédie dont l’esprit, un peu étroit peut-être, et la fermeté d’âme peu commune m’ont souvent fait songer à ces grandes figures calvinistes : un amiral de Coligny, les frères de Witt et les Puritains d’Ecosse.

Des cinq ministres qui avaient participé au Conseil de la Couronne du 7 juillet 1914, il était le second qui mourait assassiné. Avant lui, le comte Stürgkh, premier ministre d’Autriche, était tombé sous le browning du socialiste juif Adler. Quant aux autres, leur destin fut moins tragique. Dès qu’il sentit que les affaires tournaient mal, le comte Berchtold prit la fuite et se réfugia en Suisse, où il continue de mener la vie élégante d’un grand seigneur richissime. Le chevalier de Krobatin est aujourd’hui à Graz, charmante ville de Styrie, au milieu de montagnes boisées, paradis des fonctionnaires en retraite ou destitués. Conrad de Hœtzendorf écrit quelque part ses Mémoires. Et, comme il y a toujours dans les affaires humaines, même les plus lugubres, un élément de comédie, on a pu voir le comte Bilinski, l’ancien ministre des Finances communes, qui avait si âprement soutenu contre Tisza l’idée de la guerre à tout prix, devenir, un moment, Président du Conseil d’une Pologne reconstituée par le sang des Alliés.


JERÔME ET JEAN THARAUD.