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de la guerre sous-marine. Le baron Ghillany, ministre de l’Agriculture, qui l’accompagnait dans ce voyage, m’a raconté qu’un moment les autorités allemandes parurent ébranlées par ses raisons. On transmit à l’Empereur l’opinion du comte Tisza. Le Kaiser lui fit répondre, par le secrétaire d’Etat Ziinmermann que l’entrée des États-Unis dans la guerre était certaine, qu’il y eût ou non pour eux un nouveau motif d’intervention. Tout ce que Tisza put obtenir, ce fut la promesse bien vaine que l’Allemagne saisirait la première occasion de faire une paix honorable, même au prix de cessions territoriales[1].

A Vienne, ce personnage obstiné n’était guère plus aimé qu’à Berlin, et la mort de François-Joseph vint lui enlever le seul appui qui lui restait à la Cour. Jusqu’à ses derniers moments, le vieux souverain n’avait cessé de lui témoigner sa confiance, et même de lui donner les marques d’une affection paternelle, bien qu’il fût l’homme du monde le moins enclin aux effusions sentimentales. De son côté, Tisza lui était profondément attaché, et quand il parlait du « patron, » c’était toujours pour vanter ses allures de gentilhomme, son ardeur au travail, sa mémoire légendaire et une sagacité, — dont il est regrettable que le vieillard n’ait pas fourni la preuve en suivant, au mois de juillet 1914, les avis de son ministre !

Le premier soin du nouvel Empereur fut de congédier le personnel qui avait vieilli avec son oncle. Bien vite il apparut que le comte Tisza serait, lui aussi, sacrifié. Tisza en eut-il le sentiment ? ou bien son dédain des intrigues l’empêcha-t-il de soupçonner les menées qui se tramaient contre lui ? Il ne laissa jamais voir qu’il éprouvât quelque méfiance à l’égard de son nouveau maître. Pourtant, sa chute arriva. Et le coup lui fut donné avec une brutalité extrême.

Soit que l’empereur Charles voulût s’acquérir de la popularité, soit qu’il reprit l’ancienne pensée des Habsbourg d’augmenter l’influence des Slaves de la monarchie au détriment des Hongrois, soit qu’il vit là tout simplement le moyen le plus sûr de se défaire de son ministre, il résolut d’établir le suffrage universel en Hongrie ? Après deux jours de discussion, il finit par se mettre d’accord avec Tisza sur un plan de réforme électorale. Mais, quand le texte définitif fut remis au Premier

  1. Ce témoignage du baron Ghillany est entièrement confirmé par les débats du procès Hefflerich.