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sur les sentiments de ses sujets ; mais il était à peine concevable qu’il put se laisser entraîner dans une guerre contre la Monarchie. Au reste, la crainte des Bulgares était là pour le retenir. Enfin, la remarque du comte Tisza concernant le rapport des forces entre la France et l’Allemagne, ne lui paraissait guère décisive, vu l’extraordinaire développement de la population russe, qui compensait, et de beaucoup, la faiblesse de la natalité française.

Après cette réplique de Berchtold au Premier hongrois, le comte Stürgkh, Premier Ministre autrichien, déclara que la guerre lui paraissait, à lui aussi, nécessaire ; que, sans doute, il pensait, comme le comte Tisza, que la Monarchie n’avait pas à se mettre aux ordres de l’Allemagne pour savoir s’il y avait lieu ou non d’entreprendre les hostilités, mais il fallait toutefois considérer que si l’on donnait, aujourd’hui, des marques de faiblesse, peut-être, dans la suite, ne retrouverait-on plus l’Allemagne aussi disposée que maintenant à prêter sans réserve son appui. Quant à la façon dont il convenait de s’y prendre pour engager la guerre, c’était une question de détail. Si le Conseil repoussait toute idée d’une attaque brusquée, il convenait de chercher une autre voie pour arriver au même but.

Le chevalier de Bilinski, ministre des Finances communes, fit valoir que, selon l’avis du général Poliorek, gouverneur de Bosnie-Herzégovine, qui suivait depuis deux ans sur place l’agitation pan-serbe, on ne pouvait conserver ce territoire que si on en finissait une bonne fois avec Belgrade. S’imaginer, comme le comte Tisza, qu’on pouvait se contenter d’un succès diplomatique, c’était ne pas tenir compte de l’excitation qui régnait en Bosnie, où l’on disait couramment dans le peuple que le roi Pierre de Serbie allait bientôt venir délivrer le pays. A son avis, les Serbes n’étaient sensibles qu’à la force, et l’humiliation du roi Pierre n’aurait d’autre résultat que d’irriter encore les esprits, et ferait en définitive plus de mal que de bien.

Le comte Tisza répondit qu’il avait la plus haute estime pour les talents militaires du général Potiorek[1], mais qu’il était obligé de reconnaître que l’administration de la Bosnie ne valait pas grand’chose, et qu’en particulier la police s’était

  1. Ce même général Potiorek, qui, au début de la guerre, fut battu si copieusement par les Serbes.