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Pour les nerfs tendus d’Archer, cette vision était aussi apaisante que le ciel bleu et la rivière paresseuse. Ils s’assirent sous les orangers. Il mit son bras autour d’elle et l’embrassa. C’était boire à une source fraîche sous le soleil. Mais la pression de ses lèvres avait peut-être été plus vive qu’il ne l’avait voulu, car le sang monta à la figure de la jeune fille, et elle recula.

— Qu’y a-t-il ? demanda Newland en souriant.

Elle le regarda surprise.

— Rien, répondit-elle.

Un léger embarras pesa sur eux ; leurs mains se séparèrent. Newland ne l’avait pas embrassée sur les lèvres depuis leur fugitif baiser dans le jardin d’hiver des Beaufort, et il vit qu’elle était troublée dans son calme d’enfant.

— Racontez-moi ce que vous faites toute la journée, demanda-t-il, croisant ses bras derrière sa tête et rabattant son chapeau sur ses yeux pour les garantir du soleil.

En la faisant parler des choses simples et familières, il allait pouvoir suivre ses propres pensées. Il écouta la simple chronique : baignades, promenades à voile, courses à cheval, réunions dansantes organisées au petit hôtel en l’honneur d’un bateau de guerre. Il y avait quelques personnes agréables de Philadelphie et de Baltimore de passage à l’hôtel et aussi les Selfridge Merry, venus à cause de la bronchite de Kate Merry. On voulait faire un tennis sur le sable ; mais Kate et May seules avaient des raquettes, et presque personne ne savait le jeu. Très occupée, May avait à peine eu le temps d’ouvrir un petit livre que Newland lui avait envoyé la semaine précédente : Sonnets from the Portuguese ; mais elle apprenait par cœur le Last Ride de Browning, parce que c’était une des premières poésies que son fiancé lui avait lues. Elle lui dit en souriant que Kate Merry n’avait jamais entendu parler de Browning.

Tout à coup elle se leva :

— On va nous attendre pour le déjeuner !

Ils se hâtèrent de rentrer.

Les Welland campaient, pour l’hiver, dans une petite maison délabrée. Une haie de géraniums et de plumbagos entourait la propriété. Mr Welland s’effarait du manque de confort à l’hôtel, et, à prix d’or, Mrs Welland se voyait obligée, d’année en année, d’improviser une installation, amenant de New-York des domestiques récalcitrants qu’aidaient les nègres de la localité.