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capitaines. Elle a passé de cette vie à l’autre étant âgée de 76 ans après avoir commandé que l’on portât son cœur avec le corps de son premier mari et son corps au tombeau de son second… » Et comme l’agitation était décidément son lot, son tombeau fut démoli, avec celui de Jacques de Nemours, le 17 juillet 1793. Ses cendres mêmes ne devaient pas reposer en paix. La balustrade en marbre noir qui entourait le mausolée a été utilisée pour faire la table de communion de la cathédrale d’Annecy[1].

Y a-t-il, dans cette vie mouvementée, un seul trait qui se puisse appliquer à la vie tout intérieure de la princesse de Clèves ? Cette pieuse dame, dit l’épitaphe, vécut toujours chastement. Elle n’en eut pas la réputation selon les chroniques, et à tout le moins donna des arrhes à son second mari quand les procès Coligny et Rohan l’empêchaient de l’épouser après la mort du premier[2]. Admettons même sa vertu, car nous supposons réalisées bien des amours qui ne le furent jamais, et le contraire est tout aussi vrai ; admettons même son aveu. Ni elle, ni François de Guise n’eussent réagi comme les personnages de Mme de La Fayette. Et pour compliquer le mystère, voici qu’elle commande en mourant de porter son cœur au tombeau de son premier mari, et son corps au tombeau du second. Tout le mérite de la princesse de Clèves est d’avoir fait exactement le contraire : garder son corps à son mari, et son cœur a son amant.


HENRY BORDEAUX.

  1. Un portrait d’Anne d’Este est au presbytère de Notre-Dame à Annecy.
  2. Le duc de Nemours et Françoise de Rohan, par le baron de Ruble.