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quand il fait du Nemours de Mme de La Fayette un pauvre amoureux transi, timide, doux et plaintif. Il n’a pas aperçu les griffes du chat sous la fourrure.

Voici que la querelle reprend avec la publication de la Véritable princesse de Clèves[1]de Mlle Valentino Poizat. Mlle Poizat a tout le zèle des inventeurs. Elle affirme avec une charmante vivacité que Mme de La Fayette a puisé abondamment dans Brantôme et a peine transposé ses larcins. « Tout se trouve dans les Mémoires, dit-elle : portraits, anecdotes, aventures, tournoi, amour et haine de Catherine de Médicis par le vidame de Chartres, etc… » Mais elle oublie de nous expliquer comment, après tout cela, le roman de Mme de La Fayette rassemble si peu à du Brantôme. Fouillant les archives du Fond Français, elle a pu reconstituer aisément la biographie d’Anne d’Este, duchesse de Guise, qui serait la véritable princesse de Clèves, et elle a multiplié les arguments en faveur de sa thèse. Arguments inégaux, à la vérité : il en est d’ingénus, il en est de gracieux, et, s’il n’en est pas de probants, pour des raisons que je vais dire, il n’en est pas d’inintéressants. Par exemple : Mme de La Fayette, ayant à parler de la cour des Valois, ne mentionne même pas la duchesse de Guise dont la beauté ne pouvait être passée sous silence et, si elle ne la mentionne pas, c’est, de toute évidence, que la duchesse de Guise et la princesse de Clèves ne sont qu’une même personne. Et encore : la princesse de Clèves est blonde et grande comme était précisément la duchesse de Guise ; le nom de Chartres, donné à la mère de Mme de Clèves, est dans les titres de la maison d’Este ; l’épisode de la danse, celui de la chute de cheval sont dans Brantôme. Rappelons-nous l’épisode de la danse : M. de Nemours doit partir pour l’Angleterre où il a dessein d’épouser la reine Elisabeth, il vient au Louvre pour assister au mariage du duc de Lorraine, et comme il entre, et que Mme de Clèves, qu’il ne connaît pas encore, va danser, le Roi le lui donne pour cavalier sans les présenter l’un à l’autre, en sorte qu’ils dansent ensemble sans savoir leur nom, et ils font un couple si parfait que l’on s’arrête pour les regarder. La scène est charmante à souhait. Or, dans Brantôme, Anne de Guise danse avec Marie Stuart, et la cour éblouie se demande qui des deux est la plus belle. Y a-t-il

  1. La véritable princesse de Clèves, par Valentine Poizat (Renaissance du Livre, 1920).