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pourtant à Valincour dans ses Conversations sur la critique de la princesse de Clèves, où il fait dialoguer deux personnages imaginaires sur l’ouvrage en litige. Ces messieurs constatent que le roman de Mme de La Fayette était écrit avant la publication de celui de Mme de Villedieu, et qu’il en diffère totalement par la manière. Enfin, la marquise chez qui se déroule l’entretien s’étonne avec raison qu’on n’ait pas plutôt rappelé l’aveu de Pauline à Polyeucte dans la tragédie de Corneille[1].

Valincour, rapporte le vieux Bibliophile des Débats, nia même que le Nemours de Mme de La Fayette rappelât le moins du monde le fameux Jacques de Savoie-Nemours. « Il n’est rien, écrit-il, qui ressemble moins au duc de Nemours qui vivait sous Henri II que le duc de Nemours amoureux de Mme de Clèves. Ce dernier est sage jusqu’à l’excès, modéré, doux, timide jusqu’à n’oser se justifier, amoureux sans déclarer sa passion. L’autre, au contraire, si nous en croyons celui qui a écrit sa vie, et qui le connaissait particulièrement, était un homme hardi, entreprenant, et qui soutenait que pour réussir en amour il n’y avait point de meilleurs moyens que la hardiesse et la force. »

Au contraire, le maréchal de Tessé, envoyant la princesse de Clèves, pour la distraire, à la jeune reine d’Espagne, sœur cadette de la Duchesse de Bourgogne, écrit de Versailles le 3 avril. 1715 : « La reine aura la patience de lire l’histoire de François, duc de Guise ; elle y verra que, dans tous les temps et dans toutes les cours, il y a eu pour les dames des apparences d’affaires dont l’écorce a été plus criminelle que l’intérieur. La pauvre princesse de Clèves n’en eut que la peur, mais le quart d’heure fut terrible. » Les lecteurs avertis ne mettaient donc pas en doute que le roman de Mme de La Fayette ne fût la transcription arrangée des amours du beau Nemours avec la duchesse de Guise. C’était l’opinion du monde : elle s’est toujours plu à mettre des noms sur les héros de roman. Tandis que Valincour, déniant à la Princesse de Clèves toute documentation historique, représente assez bien l’opinion plus sévère et même plus maussade de la critique. Mais Valincour exagère

  1. Voyez la préface de la Princesse de Clèves (édition Flammarion), une étude de M. Armand Praviel sur Madame de Villedieu et la princesse de Clèves, et la polémique soulevée à propos de l’ouvrage de Mlle Valentine Poizat : la Véritable princesse de Clèves dans le Journal des Débats (numéros des 23, 25, 31 juillet, 6, 11, 15 août 1920