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d’une patrie, d’une société qui lui imposent des devoirs, en échange de bienfaits, sans lesquels il ne pourrait ni vivre, ni contempler, — ni représenter. Enfin, il n’est pas seulement esprit, sujet connaissant : il est volonté, sensibilité, sentiment, conscience aussi. Qu’il le veuille ou non, il juge l’objet de sa contemplation, il prend parti dans le spectacle. Les conséquences d’une action ne sont point indifférentes. Bonnes ou mauvaises selon notre jugement, elles engagent la responsabilité de leur auteur… Et voilà formulées les deux grandes idées sur lesquelles va reposer toute l’œuvre du Bourget futur : celle d’obligation morale et celle de responsabilité. Certes, Flaubert ne les nie point dans la pratique et, même, dans ses livres, il resterait à voir si telles fautes, par exemple l’adultère, ne sont pas châtiées plus durement que chez l’auteur de Mensonges, ou de Crime d’amour. Mais il ne s’agit ici que de la théorie. Et il est certain que les théoriciens de l’impersonnalité, en réduisant la tâche de l’artiste à une certaine sorte de connaissance, suppriment, en lui, des facultés capitales, rétrécissent le champ de son art. Ces pensionnaires du Musée d’Alexandrie, ou ces ermites de la Tour d’ivoire respectent infiniment les bibliothèques, mais ils mutilent et ils diminuent l’âme humaine. Ces traditionnalistes continuent, à leur façon, l’œuvre des négateurs et des destructeurs du dernier siècle… A quoi Flaubert répondait, comme le diable à son saint Antoine : « Qu’importe ! Peut-être, d’ailleurs, qu’il n’y a rien ? » Même le Bourget des débuts, même l’admirateur respectueux des grands mandarins littéraires d’alors ne pouvait pas se contenter de cette trop commode réponse. Il sentait bien qu’il est raisonnablement impossible de s’en tenir à cet instable point d’interrogation.

Mais l’enseignement qui se dégageait des œuvres inspirées par cette esthétique était encore un des plus négatifs et des plus stérilisants, qui ait jamais été proposé comme leçon de l’expérience, ou comme règle de conduite. D’abord, le scepticisme absolu d’un Flaubert, — car personne n’a été plus radicalement sceptique que lui, pas même Renan, qui croyait à la science et qui attribuait une valeur objective à la foi, — et, avec ce scepticisme, le pessimisme noir qui en est la conséquence. « Le Révérend Père Cruchard, des Barnabites, aumônier des Dames de la Désillusion, » comme il aimait à s’appeler lui-même, a été réellement un grand désenchanté, l’homme qui n’a plus