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à l’extérieur, au dedans du plâtre blanchi, sans ornement ni style. Le Rathhaus, sur la place du Marché, est une vieille baraque du XVe siècle, sans style ni fantaisie, bâtard lointain des hôtels de ville de Belgique. Sur cette place, beaucoup de vieilles maisons à pignons, à vieille physionomie ; très souvent le premier étage a un balcon vitré qui fait avançage, rejoint celui du second, et ainsi de suite jusqu’au haut, cela est pittoresque. Mais il n’y a ici ni la propreté ni la richesse de Francfort, ni l’imagination et la poésie des cités flamandes. Hors de ce centre, du côté d’Augustusplatz, vues et places larges, aérées, constructions plus modernes et plus belles, c’est une sorte de Hyde Park ; mais le musée est un carré Renaissance bien lourd, et le théâtre un paquet mal agencé de frontons et colonnes grecques.

Le soir, vers huit heures et demie, je vais souper dans la Restauration attenant au théâtre : pleine et comble, non pas de drôlesses et de viveurs, mais de familles bourgeoises ; il y a bien cent cigares et pipes allumées. La table à côté de moi est occupée par une famille de dix personnes, dont une jeune fille rieuse, expansive, et deux petits garçons ; la mère tricote, deux hommes jouent aux cartes ; éclats de rire continuels. Tous ont des chopes énormes ; les jeunes filles lampent du gosier aussi vigoureusement que les autres. À ma table viennent s’asseoir un homme de trente ans et sa fiancée, avec la sœur de celle-ci et un autre jeune homme ; regards de tendresse et de confiance de la fiancée. Pas une figure jolie, mais toutes de bonne humeur : cela ressemble à Téniers, à un Van Ostade, sauf que les habits sont meilleurs et plus neufs ; on ne sort pas d’une guerre et d’une misère abominable. L’aisance et le confortable ; si largement répandus sont un trait du XIXe siècle. Mais sous cet extérieur de civilisation, quelle rudesse native ! Brouhaha continu, comme chez nous à la Bourse ou au marché des volailles ; et l’odeur est celle de l’estaminet le plus empesté. Voilà le plaisir du dimanche pour la classe bourgeoise moyenne. Chez nous les nerfs se révolteraient ; et cette promiscuité serait choquante, nous n’oserions pas rire et nous étaler en public de cette façon. Primitifs et grossiers, voilà mon impression ; moins cultivés, moins raffinés, moins dégoûtés, plus abandonnés à la nature et à l’expansion, moins exigeants, plus aisément heureux et à moins de frais. — Je lis en ce moment des brochures,