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en personne brandit son épée devant Tanger et, sur toutes les routes du Maroc, il se trouva, comme par hasard, un Mannesmann ou un Ficke pour nous barrer le passage. Nous étions exposés à voir l’Allemagne s’étendre, tout de son long, aux portes de l’Algérie et nous empêcher à jamais de les ouvrir sur l’Atlantique. La France s’arma cependant de patience ; elle se laissa mener à Algésiras ; elle accepta un statut international de l’Empire chérifien et demeura, comme toujours, fidèle à la signature donnée. MM. Clemenceau et Pichon allèrent même, en 1909, jusqu’à poser le principe d’une coopération économique, au Maroc, entre la France et l’Allemagne. Rien n’y fit. Le Panther vint, devant Agadir, renouveler le geste de Guillaume à Tanger. Le traité du 4 novembre 1911 mit fin à cette longue série d’incidents. Sauf quelques hypothèques encore assez lourdes, nous obtenions le champ libre au Maroc ; mais nous étions obligés de céder une partie du Congo et nous avions pu sentir, dans les procédés d’une diplomatie alternativement brutale et tortueuse, la sourde hostilité que l’Allemagne nourrissait contre nous.

Par bonheur, nous n’étions plus seuls. Si nous fussions restés dans l’abandon où nous nous étions trouvés en 1870, l’Allemagne ne se serait vraisemblablement pas contentée de nous prodiguer les défis et les insolences. Elle eût précipité les choses ; elle eût inventé des prétextes pour se jeter sur nous, pour nous réduire définitivement à l’impuissance et pour asseoir sa domination sur l’Europe continentale. Mais la rapidité avec laquelle la France s’était relevée, la sagesse qu’elle avait montrée, les preuves renouvelées qu’elle avait données de ses intentions pacifiques, la réputation qu’elle s’était partout acquise d’une grande démocratie laborieuse et tranquille, tout avait disposé en sa faveur les nations sans parti pris et, de plus en plus, venaient à elle les témoignages de sympathie.

Ce fut un grand événement, et qui eut dans le monde entier une profonde répercussion, que la marque de confiance et d’estime que la jeune République reçut alors du Tsar et, lorsque les premiers marins russes débarquèrent à Toulon, la France eut enfin l’impression de recouvrer en Europe le rang auquel elle avait droit. Peu de temps après, l’alliance russe était conclue. Préparée par MM. Ribot et de Freycinet, sanctionnée par le président Carnot, elle était définitivement scellée par MM. Félix Faure et Hanotaux. De caractère strictement défensif, elle donnait à chacun des deux pays l’assurance qu’il serait secouru par l’autre, s’il était attaqué par l’Allemagne. Rien de plus. C’était désormais pour nous une sécurité relative. Nous avions,