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tristes, décolorés par l’âge ; — aux petits, toujours les mêmes, les poupées en robes d’infantes, qui jouent dans la poussière de la route ; — à Anna, la servante d’auberge, que voici à sa porte, et qui fait semblant de baisser les yeux : massive beauté, de coquetterie sournoise, toujours en plastron et coeffe d’or neuf, sous la splendide coulée du ruban coquelicot, et dont les vingt ans, les joues bigouden, le placide et magnifique sang, font un si grand accord avec le faste primitif de ses atours. Et bonjour à toutes les autres, presque aussi mirifiques, qui devisent sur le talus de la route, et besognent du crochet ! Celles-là ne jouent pas la timidité : de leurs yeux d’enfants, elles parlent à l’étranger, lui rient de leurs lèvres sensuelles, et puis se remettent à jaser. Grandes coquettes ; dit-on, promptes au plaisir, ardentes à la danse, peu farouches aux galants, et dont la présence égaie d’une quotidienne parure de fête tout ce pays de Pont-l’Abbé. On s’étonne de les retrouver dans la campagne sauvage, à l’orée des bois, non moins flambantes, aux portes des petites fermes solitaires.

On va jusqu’à l’église, l’une des plus antiques de la Bretagne. Que de tombes d’enfants dans le cimetière, sous le clocher à épines ! À l’intérieur, les fenêtres en meurtrières, les rudes piliers romans, le chœur, où tout est de pierre massive, nous parlent des premiers temps féodaux. Ce soir, il n’y a, dans l’église obscure, qu’un rang de vieilles femmes qui n’ont plus à penser qu’à la mort, et récitent ensemble des prières, des prières latines, que d’autres femmes, sans doute, ont récitées là, au XIe siècle…


Six heures passées, quand nous remettons à la voile pour courir, de balise, en balise, sur le lac marin que forme, à son embouchure, la rivière de Pont-l’Abbé. Nulle part, en Bretagne, les dernières couleurs du jour ne sont si passionnées. Réfléchies par les miroirs d’où s’exhale une vapeur perpétuelle, elles se diffusent, atteignent presque, certains soirs d’été, à des magnificences d’Asie. Quel contraste de cette région et des ordinaires campagnes bretonnes, de l’âpre contrée que modèlent, sous une tenture de lande, les longues levées du granit ! Un paysage paludéen, des terres d’alluvion, des eaux plates, un semis d’iles basses, peuplées de pins admirables, dont les bouquets