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invention ni style, qui a dû sa célébrité à de mauvaises toiles et l’a conservée par de mauvais plafonds, qui s’est fourvoyé toute sa vie et qui aujourd’hui, à bout de moyens, fait de la peinture enfantine. » Enfin, il n’y a guère plus de trente ans, M.-F. Raffaelli écrivait encore : « Ingres, qui ne fut qu’un esprit malade des traditions dont il s’était bourré en provincial et qui ne laisse pas un morceau d’art qui soit vraiment français, inquiet et aigre de la poussée qu’il sentait gronder autour de lui, ne laisse de ses hésitations et de ses colères entêtées que le souvenir d’un homme qui aima passionnément son art et fit des portraits à la mine de plomb. » Devant cette unanimité de la jeune critique, les vieux admirateurs de la Source ou de M. Bertin étaient aussi penauds que, de nos jours, seraient ceux — s’il en reste, — qui s’aviseraient de trouver du mérite à un portrait de Cabanel ou de Bouguereau. Lorsque, tout d’un coup voici dix ans, une autre génération ayant surgi et un courant nouveau d’idées ayant soufflé, M. Ingres a ressuscité au Petit Palais sous les espèces et apparences d’un des plus grands maitres de l’art français. Et ses arrières partisans, copieusement conspués pendant quarante ans pour leur goût déplorablement académique, se sont trouvés au milieu d’une foule d’admirateurs au moins aussi enthousiastes. Et non pas seulement ses portraits, que les Castagnary ou les Raffaelli ont toujours plus ou moins tolérés, mais encore ses plus froides et plus emphatiques compositions ont été déclarées admirables par une jeunesse désormais hostile au romantisme. Bien mieux, parmi les fauves du Salon d’Automne, il en est qui affichent leur admiration pour cet ancêtre et s’honorent de suivre ses enseignements. De ce jour, il fut évident qu’en art les termes « avancé, » « rétrograde, » « peinture de l’avenir, » « peinture du passé, » sont dépourvus de toute signification.

Les critiques peuvent-ils donc s’y tromper et ignorer assez l’histoire de l’Art pour attribuer à ces vocables une vertu si singulière ? C’est peu probable, mais la routine les entraine à s’en servir, de même qu’ils s’obstinent à voir un élément de progrès dans toute apparence de désordre. En face de pauvretés ou d’extravagances impossibles à défendre, ils se retranchent dans la confiance en l’avenir. La jeunesse a toujours été excessive, disent-ils ; les révolutions fécondes ne se font pas sans des excès. On ne crée qu’en commençant par nier, et détruire. Tout vaut mieux que la stagnation et la routine de l’Ecole. Peu