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amorce à la générosité naturelle des Français. Quand les Français feront des traités de commerce, il est, croyait-il, parfaitement à craindre qu’ils les fassent toujours dans l’intérêt de leurs voisins. Le Français est mauvais commerçant. Il est étourdi, et il se pique de délicatesse. Il ne voit pas son intérêt avec une suffisante lucidité, et il n’ose pas le voir avec âpreté. Il a gardé quelque chose de chevaleresque. Il est facile quand il fait des affaires, autant parce qu’il est superficiel que parce qu’il est généreux. Le protectionnisme n’est pas plus un principe que le libre échange ; mais aux uns, c’est une certaine complaisance au libre échange qu’il faut recommander, aux autres c’est une certaine sévérité relativement à la protection d’eux-mêmes qu’il faut inculquer, s’il est possible. Aux Français, c’est cette dernière. Il faut apprendre aux Français à être égoïstes, égoïstes non pas à leur manière, dans la folle infatuation de se considérer comme le peuple chef, et dans la folle ambition de ranger le monde à leurs lois, mais égoïstes dans la défense patiente de leurs intérêts de tous les jours. Il faut leur apprendre surtout à être Français. « Soyons Français » est un des mois célèbres de Thiers. Les Français ne savent pas l’être constamment, à tous les moments de leur existence, comme les Anglais sont Anglais. Ils songent à l’humanité. Ils font des lois pour elle. Ils feront des traités de commerce pour elle. Ils feront du commerce pour l’humanité. Rien de plus noble ; mais c’est excessif. Il faut commencer par soi-même, dans l’intérêt même, si l’on veut, de l’humanité. Les Français n’ont pas assez l’horreur d’être dupes. Il faut les prémunir contre ce beau défaut.

Pour ces raisons, Thiers a combattu les tendances libre-échangistes dans le temps où il fallait les combattre, dans le temps où elles avaient pour les Français des séductions dangereuses, dans le temps où l’habitude n’était pas prise de ne se placer, pour un traité de commerce, que sur le terrain des faits et des intérêts respectifs, dans un temps surtout où, chose épouvantable, un gouvernement pouvait être tenté de faire un traité de commerce désavantageux en échange de l’espoir seulement d’une alliance politique hypothétique. On ne saurait trop le louer de sa clairvoyance et de son opiniâtreté courageuse.

Son horreur du socialisme et son culte pour la propriété individuelle n’étaient pas moindres. Ce qui semble l’avoir frappé