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naturaliste, qui était dans tout l’éclat de sa vogue européenne au moment où Clara Viebig commençait à écrire. Mais je crois que l’auteur s’est inspiré beaucoup plutôt des modèles de son pays, de ce type de roman classique en Allemagne depuis Wilhelm Meister, comme si cette élève de Maupassant et de Zola, pour raconter les épreuves de sa pairie, était revenue naturellement à la tradition nationale. Et il faut convenir que pour l’objet qui était le sien, ce genre de la « chronique » était précisément le meilleur : c’était le plus propre à représenter dans une suite de scènes quasi photographiées, comme dans un album d’images, presque sans choix apparent ni intervention de l’auteur, les aspects variés de cette guerre de quatre ans et de l’inexorable catastrophe de l’Allemagne.

Je n’entreprendrai pas de résumer ces deux volumes d’une histoire qui ne commence pas plus qu’elle ne finit, et dont rien ne nous assure que la seconde partie ne sera pas encore suivie de plusieurs autres. La première (Les filles d’Hécube) comprend les deux premières années de la guerre, tandis que la seconde embrasse les deux suivantes et se termine avec la Révolution (La Mer Rouge) ; mais il n’y a pas de raison pour que Mme Viebig arrête sa « chronique » au 9 novembre 1918 et ne la poursuive pas jusqu’au Jugement dernier. — Contentez-vous de savoir que dans la banlieue de Berlin il y a un village mi-paysan, mi-bourgeois, où vivent, dans deux villas voisines, séparées seulement par une clôture de jardin, la famille Bertholdi, composée du père, de la mère et de deux fils, et la famille du vieux général von Voigt, qui comprend la Frau Generalin et sa fille Lili, veuve d’un officier italien, le lieutenant Rossi, lequel vient d’être tué aux premières attaques du Carso. Vous avez déjà là presque tous les personnages principaux du roman. Ajoutez à ce premier groupe quelques personnes du voisinage, la vieille Mme Kruger, qui est la logeuse de Lili, Gertrude, la « petite amie » de Gustave Kruger, la jolie Minna Dombrowski et diverses figures de comparses qu’on voit reparaître çà et là comme des figures de connaissance : un vieux ménage de fonctionnaires, la chlorotique Gretchen Dietrich, et Emilie, la « bonne » de Mme Bertholdi. Voilà le petit monde où va se passer tout le roman. L’analyse de cette goutte d’eau donnera l’image de la tempête. Les événements servent de cadre et de fond de décor à d’humbles