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au point d’amener certains groupes, comme le Bund et le Poal Sion, à en faire la base de leur programme. Les grands journaux d’Occident, y compris ceux de Londres, devraient donc y regarder à deux fois avant de reprendre à leur compte les informations dont nous inondent quelques agences suspectes, dans l’intention de soulever l’opinion publique contre les prétendus excès de l’antisémitisme polonais et en faveur des Juifs soi-disant opprimés. Qu’ils se défient, qu’ils aillent y voir ; leurs envoyés ne tarderont pas à se rendre compte que le danger le plus imminent n’est pas celui d’une persécution juive en Pologne.

Quant aux Polonais eux-mêmes, ils ne me semblent pas encore près de pouvoir résoudre la question juive, je ne dis pas à leur avantage, mais de manière à sauvegarder leur indépendance politique et économique, leur souveraineté et leurs intérêts. S’il leur était possible de rendre à la Russie le dangereux cadeau qu’elle leur a fait depuis vingt-cinq ans, et de repousser vers l’Est et vers le Nord, tous les Juifs russes et lithuaniens qui peuplent aujourd’hui les villes et les villages de la Pologne, le problème serait très simplifié ; mais on ne voit pas bien comment cette « restitution » pourrait s’effectuer. Faute de pouvoir faire mieux et davantage, les hommes d’Etat polonais devront se garder de revendiquer pour leur pays, au Nord et à l’Est, des territoires peuplés en grande majorité d’Israélites, ils veilleront à développer l’instruction primaire dans les villes et dans les campagnes, de manière à corriger le dangereux déséquilibre qu’on observe actuellement en Pologne, entre une population chrétienne qui compte à peu près 50 pour 100 d’analphabètes, et une population juive où l’enfant le plus pauvre sait lire et écrire… en jargon allemand. Enfin les Polonais se garderont de tout antisémitisme, même politique, — le bon droit est de leur côté : qu’ils s’y tiennent, — et ne renoncent point aux efforts si généreusement entrepris par leurs hommes d’Etat les plus éminents, si ardemment secondés par toute une élite de professeurs, de savants et de publicistes israélites, en vue d’ « assimiler » la masse juive et de l’amener progressivement à ne plus chercher ailleurs, que ce soit en Palestine, en Amérique ou en Allemagne, une patrie qu’elle doit s’estimer heureuse d’avoir, depuis des siècles, trouvée en Pologne.


MAURICE PERNOT.