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Et, que se passe-t-il quand, le péril passé, le pays se développe dans la paix et s’applique à son perpétuel travail de perfectionnement sur lui-même ? Quelle part revient à ce lointain Midi, au Midi de la politique, de l’organisation et de la clientèle ?

Eh bien ! tandis que Paris et les villes laborieuses du Nord s’ingénient à se fortifier pour parer aux futures crises, à développer les ressources nationales pour encaisser les épargnes nécessaires aux nouvelles luttes, tandis que, par le rayonnement du travail, de l’art et de la pensée, elles répandent au loin la gloire et le prestige de la France, le Midi, qui collabore nonchalamment à la tâche commune, s’attache surtout à ce qu’il considère comme sa mission : gouverner Paris. Tu regere imperio populos, Romane, memento.

Et cela ne date pas d’hier : l’éloquence méridionale n’a pas fasciné seulement le parterre des assemblées. De tous temps et bien longtemps avant que l’autorité fût à la parole publique, ces hommes d’Etat-nés s’insinuaient dans les conseils et leur subtile astuce se glissait à l’oreille du Roi. Dès le haut moyen âge, l’Ecole de Toulouse était la maîtresse de la politique ; la forte volonté unitaire de la nation, c’est la sienne ; ils veulent la France une, puisqu’ils la veulent à eux. Fomentant les ambitions absolutistes du pouvoir royal, leurs légistes mettaient en langue française la formule du Code : « Si veut le Roi, si veut la loi. » Ils luttent contre l’impérialisme allemand, contre le pontificalisme romain. Autour des Valois et des Bourbons, — branches d’outre-Loire qui finalement ont hérité des Capétiens de Paris, — ils groupent leurs chefs, les Tournon, les Duprat, les d’Ossat, les Richelieu, les Talleyrand-Périgord, politiciens raffinés dont le génie de Fénelon, un peu exsangue, est la quintessence épuisée. Ils sont les organisateurs et les fondateurs jusqu’au moment où la France, achevée, cherche dans le génie plus grave des provinces septentrionales la réalité des profits économiques et la fermeté des revendications jacobines. Nos méridionaux ont gouverné en souplesse dans les temps de crise et d’enfantement ; nos septentrionaux gouvernent en force et en labeur dans les temps d’expansion et d’épanouissement.

La carrière de Gambetta, c’est donc, d’abord, un retour du Midi.