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cause, la guerre avait été déclarée par Guillaume, ils sursautèrent tous deux avec une belle indignation : « C’est une erreur, s’écria l’historien. C’est Poincaré et Sazonoff qui ont déclaré la guerre ! » Et comme nous nous acharnions à rappeler textes et dates, il ajouta rageusement : « La preuve, elle est dans l’inique traité de Versailles. » Les témoignages allemands de Kautsky, Liebknecht, Forster, Lichnowsky, etc. ils les récusèrent âprement : « Un juif ! Un clérical ! Un traitre ! » Il n’y a d’Allemands pour eux que « les vrais Prussiens. »

Cette mauvaise foi faisait impression sur les deux Rhénans : le professeur V… reconnaissait l’autorité d’un Lichnowsky, d’un Forster ; sa collègue, tout au moins, refusait de les considérer comme des traîtres à l’Empire. Peu à peu, sous la pression de nos objections, devant la précision de nos citations, ils nous concédèrent tous deux des points de plus en plus nombreux, reconnurent notamment que la violation de la Belgique avait été « une sottise criminelle, » cependant que, gênés, les Prussiens se taisaient. Finalement, l’historien se dressa et, la voix coupante, affirma :

— Toutes ces discussions sont vaines. Si nous vous avons déclaré la guerre, c’est qu’il le fallait. Depuis Edouard VII, vous nous encercliez, et en 1915 ou 1916, l’armée russe eût atteint une puissance à laquelle nous n’eussions pu résister. Nous avons fait une guerre défensive préventive.

Et le philosophe conclut avec fermeté :

— L’Allemagne, pour assurer son existence, devait attaquer. Elle a bien fait. Pour gagner la guerre, elle devait la mener énergiquement. Elle a bien fait. Elle a eu le malheur d’être trahie par les ennemis de l’intérieur et de manquer d’hommes d’État. Mais elle n’a rien à regretter, et elle n’a pas été vaincue.

Mais les deux Rhénans, par leur silence, marquèrent leur improbation de ces paroles. Dans le vestibule, au départ, nous entendîmes que les deux Prussiens les reprenaient vertement de leur mollesse patriotique.

De pareilles discussions gagneraient, je crois, à être multipliées, et dans tous les milieux. Je sais bien qu’on va répétant qu’elles sont vaines, que, sur ces questions, les Allemands sont irréductibles, et qu’au surplus, c’est du passé. Je ne suis pas de cet avis. Ces mensonges, si nous ne les extirpons pas de l’âme