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casernes des pays occupés, un, deux ou trois cadavres de femmes enfouies dans le fumier : pauvretés dont on rirait, si leur poison n’agissait peu à peu sur des esprits naïfs.

De leur côté, les fonctionnaires, sur quelque ordre occulte, multiplient tracasseries et avanies. Voici les postiers qui raturent rageusement les indications françaises sur les lettres que nous recevons, et inscrivent cet avis impérieux : « Ecrivez en allemand. » Voici l’administration des chemins de fer qui change brusquement ses horaires, sans préavis, de façon à entraver les correspondances à Strasbourg et Metz entre les trains de Rhénanie et ceux de Paris. — Ce sont sans doute petites choses, mais qui gênent et irritent.

Enfin, le gouvernement du Reich lui-même vient d’ordonner que les droits de douanes, fortement relevés, seront payables en marks or ; il prétend même récupérer la différence entre le mark or et le mark papier sur tous les produits importés depuis l’armistice. En outre, il commence à élever toute une série de difficultés contre le transit entre la France et la Rhénanie. Il cherche à briser l’essor magnifique qu’en quelques semaines, ainsi que le prévoyait cet industriel du Nord, notre commerce a su prendre.

Toutes ces mesures ne relèvent d’ailleurs pas le crédit allemand. Voici le mark à 0 fr. 13 : l’an dernier, à pareille époque, il était à 0 fr. 50 ; en octobre, nous l’achetions à 0 fr. 33. Devant cette chute constante, il règne parmi les Rhénans une véritable panique : ils veulent se défaire à tout prix de leurs devises, même de leurs valeurs allemandes, pour les convertir en bijoux, en tapis, en objets d’art ; l’autre jour, chez Jang, le grand marchand de tapis d’Orient et de meubles précieux, nous voyions un couple qui achetait au hasard tout ce qu’il voyait. On parle de faillite prochaine du Reich.

Pour beaucoup la vie devient impossible. Un œuf se vend 2 marks 50. Un complet veston ordinaire 1 000 marks ; une paire de chaussures de fatigue 1 000 marks. Si les salaires ouvriers s’ajustent tant bien que mal à cette hausse de prix, atteignant pour certains 80 marks par jour, les traitements fixes, les pensions, les rentes, ne permettent plus à la bourgeoisie moyenne de subsister.

Certains hommes d’affaires des pays occupés ont demandé sans succès la fixation d’un taux spécial et invariable pour le mark en Rhénanie, d’autres, l’établissement de comptoirs