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George, considérant que la France avait promis d’aller à Genève, nous abandonnerait à nos propres forces si nous ne tenions pas la parole donnée et, quelques jours plus tard, un télégramme de Bruxelles, tout en laissant pressentir une prochaine entrevue de M. Lloyd George et de M. Delacroix, confirmait que le Premier ministre britannique restait inébranlable dans ses intentions. C’est ce que Lord Curzon a officiellement signifié au gouvernement français dans une note récente.

Fâcheuse aventure qui nous montre une fois de plus qu’il eût mieux valu ne pas commencer par lâcher la corde, dans le candide espoir de la reprendre ensuite. Il est toujours plus difficile de se dégager que de ne se pas engager. Si la première fois que nos alliés ont voulu nous entraîner à violer le traité et à dessaisir la Commission des Réparations, nous leur avions amicalement et fermement rappelé leur signature, et si nous n’avions accepté aucune convention dérogatoire, ils ne nous reprocheraient pas aujourd’hui d’avoir changé d’avis. La Commission des Réparations aurait su ce qu’elle avait à faire et elle aurait eu la liberté de se mettre tout de suite au travail. Contrairement à ce que disent certains journaux, elle aurait été en droit de fixer le montant de la créance, à la simple majorité (§ 13 de l’annexe II) ; et si l’Allemagne ne s’était pas exécutée, elle aurait pu également, comme elle l’a fait l’autre jour pour le charbon, inviter les gouvernements à prendre des sanctions et, au besoin, des gages territoriaux. On serait resté dans un domaine connu, celui du traité. On est aujourd’hui en plein maquis. Il ne faudra rien de moins que toute l’autorité de M. Millerand et toute l’habileté de M. Leygues pour nous tirer de ces broussailles.


Raymond Poincaré.
Le Directeur-Gérant :
René Doumic.