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rapports pour la rentrée. Il est à souhaiter qu’elle aille au plus pressé, qu’elle s’abstienne de toute littérature financière et qu’elle obtienne des orateurs de la Chambre le même renoncement. Mais elle a un devoir de contrôle qu’elle ne peut abandonner et que le Sénat, à son tour, sera obligé de remplir. Nous devons donc nous attendre, dès maintenant, à ce que le budget de l’an prochain ne soit pas voté en temps utile. L’habitude des douzièmes provisoires est malheureusement devenue une seconde nature parlementaire, et il semble que nous trouvions dans cette longue accoutumance au désordre et au laisser-aller une sorte de charme pervers, qui nous rend incapables de réagir.

En même temps qu’il va avoir à aider le ministre des Finances dans la restauration des saines méthodes, M. Leygues n’aura qu’à jeter les regards sur le monde pour y découvrir encore, de toutes parts, des flammes qui jaillissent de foyers mal éteints.

L’heureuse conclusion des pourparlers de Riga, la signature de l’armistice russo-polonais, l’accord intervenu sur les préliminaires de paix nous enlèvent sans doute pour un temps de graves sujets d’inquiétude et apportent à la politique qu’a suivie M. Millerand vis-à-vis de la Pologne une éclatante consécration. Mais à la satisfaction momentanée de ce succès se mêlent encore de trop nombreuses préoccupations, et c’est toujours l’Allemagne qui nous force à nous tenir sur le qui-vive. Les pangermanistes continuent systématiquement en Haute-Silésie le travail souterrain que j’ai plusieurs fois dénoncé. Ils ne reculent devant rien pour tâcher de fausser le futur plébiscite. Ils ont imaginé toute une combinaison pour associer à la consultation projetée près de trois cent mille Allemands qui sont domiciliés en dehors des territoires plébiscitaires. Ils essaient également de troubler l’esprit des électeurs en posant, à côté de la seule question qu’autorise le traité de Versailles, rattachement à l’Allemagne ou à la Pologne, celle d’une autonomie que rien ne saurait justifier, puisqu’il n’y a dans le pays que des Polonais et des Allemands. Enfin, comme je l’ai montré par quelques exemples, ils préparent, pour le lendemain d’un vote contraire à leurs ambitions, des émeutes et des coups de force. La haute commission interalliée a été entièrement d’accord avec son président, le général Le Rond, dans toutes les mesures prises pour assurer la loyauté du vote. Mais, par malheur, des agents du nouvel attaché militaire anglais à Berlin, le général Malcolm, se sont laissé circonvenir par la cautèle allemande et M. Leygues aura un gros effort à faire, là comme ailleurs, pour mettre au même pas l’attelage des Alliés.