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Léon Mouliade, l’ancien condisciple de Fromentin au collège de La Rochelle, celui dont l’écrivain, dans son roman, avait fait le modèle d’Olivier. « Imaginez, écrit Fromentin qui fait part à un ami après vingt-sept années de séparation de ce retour imprévu, qu’hier j’ai revu ici, chez moi, entrant comme un revenant, mon vieil ami de jeunesse, l’Olivier de Dominique. » Olivier, ou plutôt Mouliade, a quitté la Vendée pour la Bretagne. Fromentin apprend que, dans ce nouveau gîte, « auquel il laissa son nom celtique et son titre de manoir, » Olivier ne vit pas tout à fait seul. « Il n’a, dit-il, jamais été tout à fait seul, mon Olivier. Toujours le même ; mais c’est la même solitude morale. Au fond, le même ennui, la même douceur élégante et désabusée. Il est devenu gourmet, il a la goutte, ne monte plus guère à cheval et tire des bécasses dans son parc, une béquille d’une main, un fusil de l’autre. » Ce fantôme du passé, cette ombre des anciens jours, par quel jeu singulier des circonstances reparaissait-il tout d’un coup, après tant d’années, et sous cette forme vieillie, presque dérisoire, au seuil de cette maison des Trembles que le dandy de jadis avait animée tant de fois de ses sarcasmes, fait retentir de ses railleries et dont l’être simple, l’artiste parfait que Fromentin était devenu en dépouillant Dominique, ne se souvenait plus que pour le plaindre ?


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C’est le 27 août 1876, après une courte maladie, que l’homme dont nous évoquons ici le passé d’art et de belles-lettres, quittant sa maison, fut conduit au cimetière de Saint-Maurice. Ah ! le chemin à parcourir, pour aller de l’une à l’autre, n’était pas long ! Une petite rue, d’où l’on aperçoit la mer en se retournant, la rue Quatrefages, y conduit entre deux rangées de maisons basses, blanchies à la chaux et que le soleil fait éblouissantes. Sans doute le berger kabyle qui ramène son troupeau, le soir, à l’entrée du douar, passe, dans une même saison, par un chemin semblable. Et c’est bien cette image, cette silhouette d’aspect biblique, pauvre et drapée noblement, à laquelle il convient de penser au seuil de la tombe de l’écrivain qui avait dit, dans le Sahel, à l’une de ces heures d’apaisement qui succédaient en lui aux grandes crises de l’âme, aux orages du cœur : « Pourquoi la vie humaine ne finit-elle pas comme les automnes d’Afrique par un ciel clair, avec des vents tièdes, sans décrépitude ni pressentiments ? » Ce