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Un jour viendra pourtant, un jour tout chargé d’espoir, où Dominique, retenu à sa ville natale par tant de fibres, par tant de liens du cœur et de l’intelligence, trouvera enfin à la cité de son enfance, au visage adouci, suranné d’aïeule, un peu de ce charme que nous découvrons aux très vieilles choses qui furent bulles, qui furent grandes et dont toute la splendeur n’a pas disparu avec le temps. Ce sera quand, devenu jeune homme, sur le décor des antiques maisons à pans de bois et à pignon, à travers le long dédale des rues envahies d’herbe où retombent le long des murs les grappes des glycines, le voile bleu de Madeleine, agité vers lui par le vent venu de la mer, se fera voir tout à coup ainsi que la promesse de ce bonheur auquel il aspire avec fièvre, avec tout l’élan de sa jeune raison. À ce moment de sa vie, soulevé par cette ivresse que connaissent tant de jeunes hommes bien doués et qu’anime un noble orgueil, Dominique, à l’exemple de l’Olivier d’Orsel du roman, jouera un instant au dandy, au jeune lion, et, comme Olivier le lui écrira une fois de Paris, se montrera même, jeune homme à la mode, « papillonnant sur le cours Richard. »

Ce Cours planté d’ormes, devenu avec le temps le Cours des Dames, et qui part, le long du bassin d’échouage, de la Tour de la Chaine pour aboutir à la rude et belle Tour de la Grosse-Horloge, toute une flottille d’embarcations aux voiles diaprées, une forêt de mâtures, les cheminées peintes en noir et en vermillon des vapeurs venus d’Espagne, en ferment désormais l’horizon. La belle promenade n’est plus animée comme au temps où le fils du docteur Fromentin y faisait parade de ses triomphes d’étudiant, de sa jeune gloire et, tout rêvant de René, d’Amaury, d’Adolphe, ses sombres modèles romantiques, s’y montrait vêtu avec une certaine recherche, et tel qu’un admirable dessin, très vivant, très beau, tracé par lui-même et donné dans ce temps-là à son ami Beltrémieux, nous le fait voir, avec ses grands yeux baignés de rêve, ses cheveux longs et bouclés retombant sur la haute cravate à la Devéria, et cet air prédestiné, fatal, qu’affectaient alors les jeunes gens un peu distingués férus des manières venues de Paris.

Du paisible quai Maubec, par la longue rue de Villeneuve, dont il semble avoir emprunté le nom pour le donner dans son livre au village de Saint-Maurice, nous avons suivi les pas de Dominique ; de la rue de Villeneuve, nous nous sommes