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le vieil Ormesson du poète, c’est bien lui que nous devinons, par une ouverture pratiquée dans le mur latéral du parc, par-delà la brume et dans le lointain sombre.


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De La Rochelle, qu’on a nommé un « classique nid de corsaires, » et qui le fut vraiment avec tout l’appareil de ses murailles dont les tours, — tours Saint-Nicolas, de la Lanterne, de la Chaîne, — semblent de nos jours encore, du côté de l’Océan, veiller sur sa défense, Eugène Fromentin, dans Dominique, a tracé le portrait tout en grisaille, assez maussade et dans lequel, à travers beaucoup d’amour, on perçoit bien du dépit. C’est que, dans cette « très petite ville, dévote, attristée, vieillotte, oubliée dans un fond de province, ne menant nulle part, ne servant a rien, d’où la vie se retirait, chaque jour, que la campagne envahissait… » l’être sensible par excellence que devait devenir le futur écrivain et peintre ne reçut d’abord, surtout durant les longs hivers balayés de rafale, enveloppés de brouillard, que des impressions moroses, attristées, d’une grande désolation.

Épris comme il devait l’être plus tard de ce bleu céleste et délicat dont nous retrouverons, tout à l’heure, dans ses tableaux arabes, au musée de La Rochelle, les purs témoignages, le garçon rêveur que la solitude du milieu tout spécial de Lafond avait oppressé jusqu’à l’étouffement, demeura d’abord indifférent à ce recueillement de couvent, à cette paix de béguinage dont les vieux quartiers de la ville, éloignés du port, avec leurs rues mortes, leurs façades fermées et leurs longs corridors d’arcades donnaient, en ce temps-là, l’impression. « Le ciel sans nuages au-dessus du désert sans ombre, » voilà, selon l’un des passages les plus caractéristiques de son livre de notations sur le Sahara, ce qu’Eugène Fromentin souhaitait d’abord connaître, et lui qui rêva longtemps, jusqu’au point de le transposer sur la toile, de l’âge tout primitif où vivaient les Centaures, lui que grisèrent, sous le ciel d’Afrique, le tintamarre et le galop de la fantasia, comment se fût-il soumis sans souffrir jusqu’à l’intime de l’être, au silence absolu, au repliement claustral de ces grands hôtels habités par les ombres des Ligueurs et qui, contemporains des vieilles guerres religieuses, avaient dans leur aspect conservé quelque chose du caractère rigide, hostile, agressif de leurs habitants ?