Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 59.djvu/842

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

En venant ici, le 29 octobre 1903, il avait bien choisi l’époque de l’année qui convient le mieux à la commémoration du sobre et frémissant maître qui a dit, au début de Dominique, qu’il était né « dans les brouillards d’octobre » et que ces brouillards avaient laissé sur son pinceau et dans son style quelque chose de leur voile brumeux. Afin de célébrer le centenaire de cette naissance (Fromentin est né le 24 octobre 1820), nous eussions aimé nous aussi, comme notre illustre prédécesseur, venir à La Rochelle en cet automne que Fromentin a nommé la « triste et fervente saison, » cette saison qui donne, à la campagne de cette région de France, une gravité de plus et qui était bien, tous ses livres, toutes ses lettres l’attestent, celle dont il recherchait le plus volontiers la mélancolie, enfin dont les aspects vastes et monotones, d’une riche désolation, étaient bien de ceux qui faisaient naître en lui, montant du sol natal, le plus de réminiscences.

Dans les Maîtres d’autrefois, ce livre où la sensibilité la plus aiguë se confond avec l’intelligence la plus avertie de la peinture, il est une page entre toutes expressive. C’est celle où Fromentin dit qu’il se fit conduire à Scheveningen dans les dunes de Hollande. « On traverse le village, dit-il. On a devant soi, plate, grise, fuyante et moutonnante, la mer du Nord. Qui n’est allé là ou n’a vu cela ? On pense à Ruysdaël, à Van Goyen, à Van de Velde. On retrouve aisément leur point de vue. Je vous dirais, comme si leur trace y restait imprimée depuis deux siècles, la place exacte où ils se sont assis : la mer… à gauche, la dune échelonnée à droite… » Cette page est un modèle ; elle témoigne du religieux respect avec lequel Fromentin s’approchait des lieux mémorables où avaient vécu ses devanciers. A notre tour, dans un même esprit, guidé par une même pensée, nous irons, dans un instant, visiter le village de Saint-Maurice, ce village dont la situation à proximité de la mer devait rappeler si bien, du vivant même de l’artiste, le village de Scheveningen. Et de Saint-Maurice, jusqu’à Laleu, jusqu’à Vaugoin, les hameaux proches, la mer à gauche, la dune à droite, nous pourrons, nous aussi, déterminer les endroits où Fromentin vint tant de fois s’attarder de préférence. Par notations brèves, ramassées, puis par touches larges, à grands traits, nous referons à notre tour les étapes de cette longue vie de labeur et d’amour, et ce sol qui dégage « l’on ne sait quoi de local et de persistant » nous fera,