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sénat, ces cérémonies sacrées, ces temples, ces places publiques, ces statues de divinités peintes en vermillon, aux cheveux et à la barbe d’or, ce titre de colonie, — tout cela ajoute encore au prestige de la ville morte, telle que nous l’imaginons : , d’après le spectacle de ses ruines. Sa prospérité, comme celle de la plupart des villes africaines, dut atteindre son apogée à l’époque des Antonins ou des Sévères. Mais son importance politique se soutint longtemps après. Aux approches de l’invasion arabe, le patrice byzantin Grégoire en avait fait, paraît-il, une des capitales du pays.


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Le premier aspect n’a rien d’extraordinaire.

On a, devant soi, une grande plaine vaguement ondulée, hérissée de pierrailles et de touffes d’alfa, où l’on ne distingue d’abord que la silhouette d’un arc de triomphe, et, tout au fond, derrière des épaulements de terrain, un groupe de bâtisses qui sont peut-être des temples en ruines, peut-être des cambuses administratives : on ne sait trop. Et l’on s’achemine tout de suite vers la porte monumentale qui marquait certainement, autrefois, l’entrée de la ville antique.

L’arc de triomphe est, si l’on ose dire, le lieu commun, la banalité de l’Afrique latine. Il y en a partout, dans les moindres bourgades, et la forme n’en est pas toujours très variée. Celui-ci, en revanche, est d’un caractère tout à fait original. Il a une physionomie qu’on ne peut plus oublier, une fois qu’elle s’est fixée dans le regard. Il sied de le mettre à part avec ceux de Thimgad, de Tébessa et d’Haïdra.

Je m’approche du vénérable monument, en partie restauré par les soins du Service des antiquités. C’est réellement un très beau morceau. En ce moment, il se réfléchit tout entier, de la corniche au soubassement, dans une flaque d’eau, qu’un orage nocturne a formée auprès. Au milieu de l’aridité environnante, cela donne l’illusion d’un invraisemblable bouquet de couleurs. Les pierres, peut-être ferrugineuses, ont une teinte rose foncée qui rappelle le grès rouge des Vosges, cette riche matière dont est faite la cathédrale de Strasbourg. Mais, ici, la couleur de la pierre a quelque chose de plus délicat, de plus vermeil aussi, de plus chaud, et, encore une fois, de plus vivant. Le grain des blocs est rugueux comme la peau d’une orange, et tout l’édifice