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sur les espaces sablonneux. Là-bas, la montagne des Serpents se vêt d’une couleur de jacinthe. Et voici des femmes qui s’approchent dans leurs haïcks rouges, harmonie de pourpres ardentes, qui monte tout à coup comme un chant, qui s’exalte avec le vent, au milieu des tourbillons de poussière jaune… Pourpre des espaces désolés et fascinants, pourpre des vieilles pierres, pourpre impériale, tout cela se confond et se mêle dans l’imagination et les yeux éblouis : ADIABENICO. PARTHICO : « à Septime Sévère, Empereur, grand Pontife, Père de la Patrie, vainqueur des Parthes et de l’Adiabène… »

Quoi qu’on en pense, la grandeur humaine est quelque chose. Si l’on peut concevoir ailleurs combien elle est à la fois glorieuse et misérable, ici on rencontre un spectacle réellement unique, que Rome elle-même ne peut pas montrer : les féeries du Désert mêlées aux splendeurs de l’Histoire. Et, symbole plus émouvant et plus significatif encore : l’indestructible Barbarie face à face avec la pérennité, pour ne pas dire l’éternité de la Ville.


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On devrait aller le plus facilement et le plus rapidement du monde d’Ammædara à Sufetula. Mais celle-ci se trouve dans un autre compartiment géographique que sa voisine. Le pauvre voyageur, obligé de se servir du chemin de fer, doit revenir sur ses pas jusqu’au couloir latéral et refaire, en sens inverse, tout un long trajet.

Il est vrai qu’on peut s’arrêter en route et visiter, en passant, les ruines de Thuburbo majus, ou celles de Maclar, qui sont considérables. De même, en allant à Sufetula, Kairouan offre une halte tout indiquée, — Kairouan avec sa fameuse mosquée de Sidi-Okba, qui, à l’intérieur comme à l’extérieur, est ornée de colonnes romaines et byzantines. Une fois de plus, on y pourra constater que l’art arabe est fait des dépouilles de la latinité. On peut même dire que la mosquée de Kairouan, dont la principale curiosité consiste en cette forêt de merveilleuses colonnes prises aux églises et aux temples païens d’Hadrumète et de Carthage, forme un beau musée d’art gréco-romain. L’armature de l’édifice est toute latine comme le sous-sol du pays.

Admirer, étudier en détail les colonnes et les chapiteaux de Kairouan, voilà donc une excellente préparation pour le pèlerin