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Cependant, Ammædara et son trésor de souvenirs et de ruines anonymes sont encore loin : vingt kilomètres environ qu’il faut faire en voiture. C’est une journée entière que réclame la visite de la ville morte.

D’abord, le paysage redevient d’une monotonie désolante. Les montagnes s’abaissent, perdent leurs belles formes monumentales. Nous voici tout près de la frontière algérienne. Tébessa est à quelques lieues, derrière ces collines médiocres, à la végétation terne et cendreuse. La plaine jaunâtre, sillonnée de faibles ondulations, semble déserte. Mais ce n’est pas le désert, bien qu’il ne soit pas très loin. Ici, parait-il, fut l’antique Ammædara. On cherche… On finit par apercevoir, sur la droite de la piste, la forme confuse d’un arc de triomphe encore mal dégagé de sa gangue byzantine et, plus loin encore, dans la direction de l’Oued Haïdra, un mausolée au fronton triangulaire, qui se dresse à l’entrée de ce champ de ruines, comme une gigantesque guérite abandonnée. Enfin, au sommet d’une éminence sablonneuse, apparaît le bordj des douaniers, qui gardent la frontière. Ils sont là trois hommes, avec leurs femmes et leurs petits-enfants, perdus au milieu d’une foule de loqueteux en burnous, qui se chauffent au soleil contre les murs du bordj, ou qui se pressent devant le portail, en criant et en gesticulant de leurs bras maigres et noueux. Trois hommes anémiés et pâlis par les fièvres, et, derrière les murs de l’enceinte, une demi-douzaine de vieux fusils alignés sur un râtelier, voilà ce qui représente aujourd’hui la majesté de l’Empire aux yeux de cette foule barbare. Il faut croire que cela suffit pour la tenir en respect. Je m’incline devant les vieux fusils Gras comme devant les faisceaux des licteurs proconsulaires…

Mais je cherche toujours la ville. Où est Ammædara ?… ! J’aperçois bien, de ce côté, les décombres d’une basilique chrétienne, et, en face de moi, les remparts écroulés d’une importante forteresse byzantine. Mais la ville romaine, celle dont les citoyens ont élevé là-bas cet arc de triomphe et ce mausolée de si grande allure ?…

Elle est tout entière détruite, ou ensevelie sous des couches de sable.

Les vestiges en sont encore très nettement visibles. Après