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antérieurs. Très belles l’une et l’autre, et d’une grande puissance tragique, elles sont raccordées au sujet avec une habileté qui ne laisse soupçonner dans la trame aucune reprise.

Le Gil Blas avait publié, le 7 juin 1882, sous le pseudonyme de Maufrigneuse, une nouvelle intitulée la Veillée. C’était l’histoire d’un magistrat et d’une religieuse qui, veillant leur mère morte, « morte sans agonie, tranquillement, comme une femme dont la vie fut irréprochable, » avaient eu l’idée, pour lui rendre un pieux hommage en revivant sa vie près d’elle, de lire les vieilles lettres qu’elle conservait avec soin dans un tiroir. Une partie de cette correspondance, aux lettres de passion trop significatives, leur révélait que leur mère avait eu, déjà mariée, une relation coupable. C’est de la même façon que Jeanne, dans Une Vie, trahie par son mari et déjà renseignée sur les anciennes infidélités de son père, apprenait que sa mère avait, elle aussi, hélas ! eu un amant. Cette scène était-elle utile à « l’humble vérité » dont Maupassant avait fait l’épigraphe de son chef-d’œuvre ? M. René Doumic, en jugeant le roman, disait avec beaucoup de force : « Il semble n’avoir voulu, pour cette fois, qu’esquisser l’image d’une vie semblable à beaucoup d’autres. Mais, en accumulant sur la tête d’une seule personne toutes les tristesses de la vie, il fait d’elle véritablement une privilégiée ; son cas, qui ne cesse ni d’être possible ni d’être vrai, n’est du moins pas une vérité humble, étant d’une vérité d’exception. » Rien n’est plus exact que cette réflexion. La vie de Jeanne, telle que le roman la dépeint, cette vie d’une femme qui a connu, comme fille, comme épouse et comme mère, les plus grands malheurs ou les déceptions les plus cruelles, n’est évidemment pas une impossibilité humaine. Mais, par un étrange paradoxe, Maupassant qui, dans Une Vie, se réclame de « l’humble vérité, » l’a peut-être moins copiée ici qu’ailleurs, puisqu’il a soudé à son roman une scène tragique, la révélation à la fille des amours de sa mère, qu’il avait déjà développé dans une nouvelle ramassée et puissante. Cette sorte de greffe littéraire éloigne Guy de Maupassant de la comparaison que Jules Lemaitre avait fait, entre la spontanéité de ses contes et la pousse des pommes de son pays normand.

Il y a plus qu’une scène dans l’autre emprunt que Maupassant a fait, en écrivant Une Vie, à un conte déjà paru. Ce conte, le Saut du Berger, publié dans le Gil Blas du 9 mars 1882,