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Conseils qui, sans abroger expressément les lois de persécution, les ont désavouées ? À tout hasard, on consulte les juristes : ceux-ci demeurent eux-mêmes perplexes. Ne sachant que résoudre, pressentant une ère nouvelle, une législation nouvelle aussi, ils conseillent d’attendre ; en effet, le plus souvent, on surseoit, et le sursis, c’est la prolongation de la liberté.

En Alsace et sur la frontière de l’Est, les prêtres rentrent. Dans la région cévenole, c’est-à-dire le Velay, la Lozère, la Haute-Auvergne, beaucoup ne sont pas partis. Même aux jours les plus sombres, ils se sont efforcés de poursuivre leur ministère. Quelle n’est pas aujourd’hui leur confiance ! La profession d’une même foi, l’endurance des mêmes périls, le même ferme propos de fidélité, les mêmes habitudes de vie simple et rude, tout les a unis au peuple. Et maintenant ils secouent toutes les entraves. Les dénonciations apeurées qui arrivent au Directoire révèlent leur empire : on y lit que les réfractaires officient partout ; ils ne disent pas seulement des messes basses en des oratoires plus ou moins secrets, mais des grand messes ; il y a sermon ; il y a chant, orgue, sonneries de cloches même ; souvent les magistrats sont présents. Ainsi parlent les délateurs, et ils ne savent pas tout. Au mois de juin ont été célébrées, en une commémoration intime, mais plus fervente qu’aucune solennité fastueuse ne le fut jamais, les fêtes jubilaires en l’honneur de Notre-Dame du Puy ; et il n’y a pas une cabane de la montagne où ne se soit allumé un cierge pour la Vierge miraculeuse. L’ambition n’est pas seulement de maintenir la foi, mais de la perpétuer. Même au plus fort de la Terreur, des jeunes hommes se sont rencontrés qui aspiraient au sacerdoce. Maintenant ils cherchent qui les consacrera à Dieu. L’évêque du Puy, M. de Galard, est à Saint-Maurice, dans le canton du Valais. C’est vers lui que les jeunes gens se dirigent. Avant de leur conférer les saints ordres, le prélat leur adresse ces seules paroles : « Je ne veux d’autre preuve de votre vocation que votre dévouement à accomplir le voyage qui vous a conduits jusqu’ici. » Les nouveaux prêtres reviennent en leur pays, à pied, par des chemins détournés, attentifs à éviter les mauvaises rencontres ; car l’accalmie n’est pas telle qu’il n’y ait danger, — et même danger terrible, — à revenir de l’étranger après avoir visité un évêque émigré. C’est seulement quand ils ont franchi les limites du Velay qu’ils osent avouer le but de leur