Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 59.djvu/723

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’étrangeté de l’accusation. Pour les perdre, on exhume contre eux la constitution civile du clergé, partie intégrante de la constitution de 1791 depuis longtemps abolie, en sorte qu’une peine (et quelle peine ! la peine capitale) se fonde sur la désobéissance à une loi virtuellement abrogée. Puis la constitution de l’an III, tout récemment votée, revient en mémoire. En son titre VIII, elle a déterminé, avec un grand scrupule de détails, la forme des instructions criminelles. Or la Convention n’a-t-elle pas fait par avance œuvre caduque quand, au pied levé, sans débat, au moment de se séparer, elle a ressuscité cette même justice sommaire qu’elle-même venait d’abolir en votant la Constitution ?

Ainsi pensent les juges, décidément assagis. Cependant les dossiers sont devant eux. Les inculpés sont à la prison et attendent d’eux leur destin. Alors, pour être humains, ils deviennent subtils et torturent la loi, afin d’en extraire la pitié.

S’absorbant en leur besogne, ils tentent d’établir des catégories. Si l’inculpé est un prêtre assermenté qui a rétracté son serment, ils recherchent la date de la rétractation ; quand celle-ci est postérieure à l’établissement de la république, ils estiment que la victime peut être soustraite au châtiment ; car le seul délit, s’il y en a un, est une infraction à la constitution civile du clergé qui, depuis la chute de la royauté, a cessé d’être loi de l’Etat. S’il s’agit d’ecclésiastiques rentrés de la déportation, quelques tribunaux imaginent, malgré les circulaires, d’appliquer non l’impitoyable loi du 3 brumaire, mais une loi plus douce, celle du 20 fructidor qui se borne à prononcer le bannissement. Quand les juges désespèrent d’adoucir la rigidité des décrets, ils se mettent en quête de moyens détournés pour éluder la sentence ; à un prêtre rentré, on suggère de dire qu’il n’est revenu de la déportation que pour se soustraire à la misère, qu’il n’a pas le dessein de reprendre ses fonctions ; d’un autre, on déclare qu’il est « vraiment inepte ; » et de la sorte on échappe à l’embarras de statuer. Que si les autres ressources manquent, un moyen reste, celui de traîner de remise en remise ou d’égarer le dossier. Dans les maisons de détention des prêtres végètent, de condition indécise. Les jours, les mois passent sans qu’on s’enquière d’eux. Nul ne réclame, ni les prisonniers qui sentent que la prison, c’est le salut, ni les commissaires ou les magistrats qui ne peuvent être humains qu’à la condition d’oublier. Cependant