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vices s’épanouissent en lui. Il est paresseux, avide de bonne chère, vaniteux d’honneurs, indifférent au mensonge, et par-dessus tout libertin. Indolent à l’ordinaire, il se dresse sous l’obstacle, avec des éclairs inattendus de colère méchante. En lui nulles vues, nuls principes, nulle habileté aux affaires, mais un remarquable flair de policier, un sang-froid propice aux coups de main, et même une certaine puissance d’effort, à la condition que l’effort soit très court et promptement récompensé de butin. Appartient-il à un parti ? On l’ignore. Ce qu’on sait, c’est qu’il est à vendre, mais sans grand profit pour l’acheteur, car il ne se livrera point. Cependant ses yeux, quand ils se portent sur les lambris du Luxembourg, s’allument de désirs fastueux ; et déjà un dessein l’obsède qu’il réalisera plus tard, celui de raviver les dorures fanées, de rallumer les lustres éteints, de ranimer les salons déserts. En ce somptueux palais, il rêve d’une cour ; et il la ressuscitera, toute peuplée de traitants, d’aventuriers, de courtisanes ; il la ressuscitera, vénale jusqu’à l’impudence, voluptueuse jusqu’à la pourriture, toute gonflée d’une double corruption, celle de l’ancien régime, celle du régime nouveau, et telle, en un mot, que le plus vicieux des rois de France se fût étonné d’être dépassé.

Qu’on continue le tour de la table. Voici le contraste : un homme tout bossu, à la tête disproportionnée, aux jambes grêles, à l’aspect ridicule. C’est Larévellière-Lépeaux. A la Convention, il n’a pas laissé que de déployer quelque courage, car il a été proscrit à la suite des Girondins. Ses manières sont douces, ses goûts très simples, sa probité non suspecte. Il est homme de foyer ; et avec joie, tandis que sa fille joue du clavecin, il s’incline sur le berceau de son fils auquel il a donné le nom d’Ossian. Il se plaît aux passions reposantes : la principale est celle de la botanique. Dans le gouvernement, son lot sera la direction de l’instruction publique et des beaux-arts. Les splendeurs du Luxembourg l’intimideront autant qu’elles attireront Barras. Les soirs d’été ou bien encore les jours de décade, on le verra s’évader du Palais et partir, tantôt pour la campagne, tantôt pour le Jardin des Plantes ; d’autres fois, il se réfugiera chez des amis plus rustiques encore que lui et qui, ainsi qu’il le raconte, le recevront modestement à la cuisine. Au Directoire, il a été élu le premier, étant de ces inoffensifs qui n’offusquent pas. Inoffensif, l’est-il tout à fait ? Son cerveau n’est