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Pourras-tu l’endormir, cette rumeur, ô nuit,
Pour que l’âme, écoutant, n’entende plus que l’âme ?

Descends sur le troupeau qui ne sait ce qu’il clame,
O pitié d’un cœur chaste offensé par le bruit ;
Et vous, brillez enfin dans la profonde nuit,
Astres lointains du ciel et visions de l’âme !

Un jour, la mort prendra ce qui s’agite et clame,
Et rien ne restera de l’inutile bruit.
Mais, vous me l’attestez, feux de la grande nuit,
L’aveugle mort jamais ne fera taire l’âme.


Cette poésie que j’essaie de définir a le goût, l’amour du silence, qui est le symbole de la certitude. Mais la poésie est musique, pourtant. Cette poésie recherche la musique et la perfection de musique la moins offensante pour le silence. Elle ne fait pas, comme d’autres, un grand bruit de syllabes, se plaît aux modes graves et calmes, craindrait un vif éclat des sonorités. Elle craindrait aussi, non les belles couleurs, mais les couleurs qu’on appelle criardes et qui ont, en effet, beaucoup d’analogie avec le bruit. Cette poésie est sereine, étant à l’honneur de la vérité une fois acquise et très heureusement possédée. Cependant, cette poésie, jalouse de ressembler à son objet, très attentive à ne le point déguiser d’ornements vains, n’a pas renoncé aux diverses beautés et aux magnificences d’un art et d’une littérature les plus dignes de montrer la ferveur et le zèle de l’intelligence que Dieu anime. M. Louis Le Cardonnel, poète chrétien, n’est pas l’un des étranges littérateurs et artistes que nous avons, depuis quelque temps, et qui, du jour qu’ils ont résolu de consacrer à Dieu leur talent, ne lui consacrent pas, mais lui sacrifient leur talent. Soudain, leur talent s’appauvrit, jusqu’à faire pitié. Ils ne savent plus dessiner ; ils ne savent plus écrire.

Du moins, on le dirait. De pauvres lignes tristement infléchies, voilà tout ce qu’ils savent encore tracer. De petites phrases bégayantes, voilà tout ce qui leur vient à l’esprit. C’est qu’ils ont imaginé de croire que la littérature et l’art sont des concupiscences que Dieu réprouve : alors, il vaudrait mieux ne point écrire. Il leur semble aussi que l’art et la littérature ne sont point un hommage digne d’être offert à Dieu : c’est possible ; mais, si vous n’avez pas autre chose à lui offrir, donnez pourtant cela. Et le jongleur de Notre-Dame, qui offrait à Notre Dame les prouesses de son agilité, son présent ne fut pas dédaigné. Saint Anselme, dialecticien subtil,