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scansion rude, insistante et obstinément monotone des vers, nous fait souvenir des Villes tentaculaires et des Villages illusoires.

Mais ce n’est pas à dire le moins du monde que M. Louis Le Cardonnel puisse, dès ses débuts, être considéré comme un imitateur. Les poèmes où l’on remarque une influence de ses amis ne sont pas nombreux et l’influence y est plus apparente que réelle. Ce qui le caractérise, au contraire, serait plutôt la clairvoyance avec laquelle, sans retard, il a séparé ce qu’avait de factice et de passager la poésie à la mode, et ce qu’elle avait de durable et de riche en belles conséquences. Elle n’évitait pas le jargon ; voire, elle parut le rechercher : il n’y a point de jargon dans l’œuvre de M. Louis Le Cardonnel. Et, comme elle prétendait à une nouveauté périlleuse, elle ne craignit pas de briser la forme ancienne du vers de chez nous, consacrée par les siècles ; du reste, son vers libre, souvent joli, autorisé de La Fontaine, est une sorte de langage très ingénieux et qui a bien sa musique : néanmoins, M. Louis Le Cardonnel resta fidèle au vers régulier, moins hardi même que celui des romantiques et, tout compte fait, plus proche de Malherbe ou de Ronsard que de Victor Hugo ou de Musset. Toute son audace fut de combiner de maintes manières, quelquefois, les rimes féminines et masculines, à l’exemple de Verlaine, soit qu’il n’use que des unes ou des autres, soit qu’il joue à marier les féminines et les masculines :

Ah ! dans cette maison triste du quai désert,
C’est le Miserere de toute sa misère,
Au milieu du désert qui n’aura pas de manne
Et que traversera seule, écho de Schumann…

etc. L’on n’est pas plus attentif à la qualité de la rime ; et il ne la remplace jamais par l’assonance, dont se contentaient beaucoup de symbolistes.

Ce qui, dans le symbolisme, l’enchanta, c’est l’idéalisme : autant dire que c’est la meilleure substance de cette poésie nouvelle. L’un de ses poèmes invoque Stéphane Mallarmé, lequel voulait que l’art fût, comme il disait, une allusion à la vie, non la copie de la réalité. Il n’a point imité l’obscurité, fâcheuse et pourtant pleine de significations, paradoxale et impérieusement exemplaire, de ce poète si étrange et magistral ; mais il a reçu de lui l’enseignement de regarder le double univers de la matière et de la pensée avec des yeux qui sont « des firmaments tout bleus d’Éternité. »

Idéaliste, épris d’un art qui serait l’animation de grands symboles,