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mit à enfiler sur ce thème un chapelet d’ordures… Gorki en resta suffoqué.

Plus tard, il s’expliqua que ce n’était pas chez Tolstoï un goût de l’obscénité, mais qu’il se servait du mot cru, quand c’était le mot juste. Il parlait ainsi tranquillement, en homme sorti du jeu et, comme il arrive à certains vieillards, avec une absence complète de pudeur. Il se plaisait à faire aux gens une foule de questions brusques et indiscrètes pour les mettre dans l’embarras : « Etes-vous amoureux de votre femme ?… Que pensez-vous de la mienne ?… Croyez-vous que mon fils Léon a du talent ? » Il y avait en lui de l’inquisiteur. Un jour, à la promenade, il interpelle Tchekov :

— Tu as été un grand coureur dans ta jeunesse ?

Tchekov bredouilla dans sa barbe une réponse inintelligible, tandis que Tolstoï, le regard vague et perdu au loin sur la mer, ajoutait :

— J’étais un infatigable…

Et il lâcha un mot salé. Le livre de Gorki contient tout un écrin de ces maximes sur les femmes, attestant un incroyable mépris. Ce mépris rappelle le mot d’Aristophane sur Euripide, qu’on surnommait le misogyne, mais qui ne l’était pas toujours. On s’en serait douté à la vie merveilleuse que Tolstoï a prêtée à ses caractères de femmes, — Natacha, Anna, Maslowa, — toujours si supérieurs à ses caractères d’hommes, et d’ailleurs si peu embarrassés de scrupules et de vie morale. Il se défendait d’avoir du goût pour elles ; et c’était une des raisons de son dédain pour nous : « Les Français sont des sensuels. Pour eux, il n’y a que la femme. C’est un peuple fini, une race d’émasculés. Tous les phtisiques sont des sensuels. » Il ne jugeait pas plus favorablement les Italiens : « Un peuple de charlatans et de rastas : toujours des Arétins, des Casanova, des Cagliostro. » Voici un choix de ces boutades sur les femmes :


Avec son corps la femme est plus franche que l’homme, mais avec son cerveau elle ment. Elle ment, mais elle n’est pas dupe de ses mensonges : tandis que Rousseau croit aux siens…

Le vrai danger, ce n’est pas la femme qui vous tient par la peau, c’est celle qui vous tient par le cœur… (C’est tout le contraire de la thèse de la Sonate à Kreutzer.)


Et encore :