Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 59.djvu/60

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terre. On n’a même pas relevé les colonnes, les chapiteaux et les fragments d’architraves qui jonchent l’intérieur et les abords des enceintes. On a descellé les mosaïques qui pavaient les nefs et les patios, ou qui revêtaient les baptistères et les fontaines ; on a déménagé les statues, les stèles et les inscriptions, et on a entassé toute cette dépouille dans des musées. C’est la ruine « scientifique, » nettoyée, raclée jusqu’à l’os, réduite à l’état squelettique par l’archéologie.

Comment s’étonner, après cela, que les antiquités de Carthage n’existent pour ainsi dire pas pour le touriste pressé et qu’elles soient comme perdues dans l’immensité des terrains vagues ?

Aujourd’hui, si l’on veut se rendre compte de ce que fut Carthage, de sa richesse, de sa grandeur, de la variété des civilisations qui s’y sont succédé, il faut aller au musée Saint-Louis ou au musée du Bardo, le premier plus particulièrement carthaginois, le second plus généralement africain. Outre des statues colossales, des bas-reliefs, des sarcophages, des stèles par milliers, des gemmes de toute sorte et de toute couleur, des céramiques, des cristaux, des ustensiles ou des ornements funéraires, peignes, fibules, colliers, bagues sigillaires, on y admirera de merveilleuses mosaïques. Le Bardo surtout en possède une collection incomparable, comme il n’en existe nulle part au monde. Presque toutes représentent des sujets réalistes qui sont d’un haut intérêt documentaire pour l’histoire des mœurs africaines pendant les premiers siècles de notre ère : scènes de pêche et de chasse, tableaux rustiques, bâtiments de fermes et de villas, avec leurs dépendances, leurs esclaves, leurs laboureurs, leurs jardiniers, le maître et la maîtresse de la maison, dans leurs costumes et leurs attitudes habituels, — intérieurs de cabaret, écuries de chevaux de course, avec leurs cochers, leurs palefreniers, leurs chars, — vue du cirque, avec sa spina, ses loges. Et ses gradins chargés de spectateurs, — plan et profil d’une basilique en construction, maçons qui gâchent le plâtre, architecte armé de l’équerre et du fil à plomb, charretiers qui conduisent des fûts de colonnes sur leurs véhicules à hautes roues. c’est un abrégé de la vie africaine tout entière, l’image colorée et animée de toute une époque.

Mais tout cela est enfermé entre quatre murs, classé et scellé sous des vitrines. On prétend ainsi sauver ces débris