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risquerait d’être poignardée dans le dos. Cette inquiétude est exagérée ; mais le devoir du gouvernement est de la dissiper immédiatement, d’en faire disparaître la cause ou le prétexte. Il ne faut tolérer aucune propagande suspecte, ni au front, ni à l’intérieur. Il ne faut pas craindre d’inquiéter le peuple par des mesures rigoureuses qui, au contraire, le rassureront. Jamais notre nation n’a montré plus d’ardeur unanime et plus de confiance raisonnable dans son avenir : il ne faut que diriger cette ardeur et donner à cette confiance un aliment, qu’on dise nettement à la Pologne ce qu’elle doit faire pour vaincre, et elle vaincra. »

J’ai voulu rapporter tout entières ces déclarations de M. Dmowski : critiques qui, peu de jours après notre conversation, n’avaient heureusement plus d’objet ; magnifique confiance, que l’événement devait bientôt justifier. Aussi bien les objections et les réserves, compréhensibles chez un homme d’action et de lutte, comptent-elles pour bien peu au regard de l’acte de foi du patriote. Mais quel singulier contraste entre ces deux hommes : celui qui parlait à côté de moi dans le jardin de la Ressource, et celui qu’en parlant il n’avait point nommé ! Dmowski, sorti du peuple, et devenu le chef d’un parti presque conservateur ; l’homme est froid, volontaire, ironique, et trop distant, trop aristocrate peut-être pour devenir jamais vraiment populaire. Pilsudski, issu d’une famille de petite noblesse ou de bonne bourgeoisie, conspirateur, proscrit, capitaine de partisans et bientôt héros national, arrive au suprême pouvoir en qualité de socialiste, et donne aux ouvriers, aux paysans, au peuple, l’illusion ? non pas ! la conviction profonde qu’ils partagent tous ce pouvoir avec lui.

La popularité de Pilsudski tient du prodige ; elle est universelle, absolue, et c’est à peine si les revers prolongés et angoissants des armées dont il est le chef l’ébranlèrent pour un instant. Les raisons de ce merveilleux prestige ? Je les ai demandées un peu partout, sur mon passage ; et voici ce qu’on m’a répondu : « Pilsudski a tout sacrifié à la cause nationale ; toute sa vie, il a souffert pour la Pologne, et jamais il n’a désespéré de son sort. Aux heures les plus terribles de la Grande Guerre, quand nous estimions que tout était fini, Pilsudski gardait sa foi et agissait. Il est inscrit au parti socialiste, mais il inspire à tous une confiance égale et nous le mettons au-dessus des partis.