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revanche, on peut leur reprocher, comme, je pense, à tous les paysans du monde, un certain égoïsme qui les rend moins sensibles à ce qui ne les touche pas dans leurs intérêts particuliers. Le sentiment de l’intérêt national leur fait encore défaut : les circonstances présentes leur offrent une belle occasion de l’acquérir, et je ne doute pas qu’ils n’en profitent. Ah !… s’il n’y avait en Pologne que des Polonais, comme tout serait plus facile ! Mais il y a les Juifs, et non seulement nos Juifs, mais encore tous ceux que le gouvernement russe a rejetés sur notre pays, pour l’affaiblir et le corrompre. On ne peut pas espérer d’assimiler jamais ces gens-là. — En prononçant ces mots, Mgr Teodorowicz s’est animé subitement ; tout son visage maigre a pris une expression de dégoût ; l’archevêque de Léopol a relevé son grand nez volontaire et, dans ses yeux profonds, une flamme s’est allumée. — Les Juifs, poursuivit-il, sont hostiles à l’indépendance de la Pologne. Pendant la guerre, on les a vus partout jouer le rôle d’espions et de délateurs ; aujourd’hui, ils se réjouissent ouvertement des victoires bolchévistes. Leur altitude aura du moins ouvert les yeux à beaucoup de Polonais qui, s’ils refusaient d’entretenir avec les Juifs des relations sociales, croyaient indispensable de conserver avec eux des rapports économiques. Aujourd’hui, tous les Polonais, et particulièrement les paysans, méditent l’exemple de la Posnanie, qui, en développant dans ses villes et dans ses campagnes les associations professionnelles, les coopératives de consommation et de crédit, s’est débarrassée presque entièrement de sa population juive.

— Y a-t-il beaucoup de Juifs à l’Assemblée ?

— Non, à peine une douzaine. Mais ce n’est pas surtout au Parlement que s’exerce leur influence ; elle se manifeste bien plutôt dans la politique « à côté, » dans les affaires, dans la presse. Voyez donc…

Et, baissant un peu la voix, l’archevêque me désigna au milieu d’un groupe, qui l’écoutait avec attention, un homme à barbiche notre et à cheveux crépus, portant un lorgnon sur son nez courbé : c’était M. Perl, directeur du Robotnik (l’Ouvrier), organe du socialisme radical.

À ce moment, un jeune prêtre s’avança vers nous et adressa à Mgr Teodorowicz, qui s’était levé, quelques mots en polonais.

— Connaissez-vous, dit l’archevêque en me présentant,