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démocratique ou révolutionnaire des hommes qui en signeront l’instrument. Ces dangers, seule la Pologne peut vous aider à les prévenir et je suis certain qu’elle y est disposée. Nous voulons vivre en paix avec la Russie ; mais il ne faut pas exiger de nous que nous fassions tous les sacrifices.

« Jamais nous n’avons eu l’intention d’annexer, ni l’Ukraine, ni la Russie-Blanche. Mais pourquoi laisserions-nous à la Russie la libre disposition de ces territoires, qu’elle n’a détenus qu’indûment, après les avoir volés ? Laissez passer dix ans, vingt ans, s’il le faut, et donnez aux Ukrainiens et aux Blancs-Russiens la faculté de décider eux-mêmes de leur sort par un plébiscite.

— Croyez-vous, Monsieur le Professeur, que même dans vingt ans ces peuples, dont l’éducation est encore très sommaire, seront en état de prendre librement et consciemment une décision ? Savent-ils, pour le moment, s’ils forment eux-mêmes une nation, ou à quel État ils devraient être équitablement rattachés ? Pour ne parler que des Blancs-Russiens, j’ai entendu des paysans de l’ancien gouvernement de Minsk se déclarer Polonais, par la raison qu’ils étaient catholiques, et se refuser à croire que le pape, étant chef de l’Eglise catholique, ne fût pas un Polonais.

— Je sais tout cela, répondit vivement M. Askenazy ; mais, en dehors du plébiscite, je n’aperçois aucun moyen de résoudre le problème. Je suis d’ailleurs convaincu que la plus grande partie de ces pays retournera à la Russie. Cependant, je ne comprends pas qu’en Occident l’on pousse les hauts cris parce que nous voulons soustraire à la domination russe quelques milliers de kilomètres carrés et quelques millions d’habitants. Cela ne s’appelle pas encore « dépecer » la Russie. Songez qu’en 1914, l’empire des Tsars s’étendait sur vingt-deux millions et demi de kilomètres carrés et comptait cent quatre-vingts millions d’habitants. Rappelez-vous les moyens par lesquels fut constitué cet empire énorme, l’étendue et la richesse des provinces qui nous furent volées à nous-mêmes, et vous conviendrez avec moi qu’on nous juge plus sévèrement qu’on n’a jugé les Russes, et que ceux-ci bénéficient, à notre détriment, d’un certain nombre de préjugés que leur âge a pu rendre respectables, mais nullement légitimes.

« En un mot, je suis, nous sommes tous partisans d’un rapprochement avec la Russie. Personnellement, j’entretiens des