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qu’on reprochait surtout au gouvernement, c’était d’avoir accepté l’alliance de Petlioura, l’Ukrainien et cru aux promesses d’un aventurier qui n’inspirait même pas aux siens une entière confiance. Qui donc avait pu se porter garant à Varsovie de la fidélité ou même de la neutralité des populations de l’Ukraine ? En fait, les cavaliers de Budieny n’avaient eu qu’à choisir entre les paysans qui s’offraient à leur servir de guides à travers les lignes polonaises ; et ces mêmes paysans ukrainiens n’avaient pas attendu l’arrivée des bolchévistes pour attaquer et piller tous les convois de vivres destinés aux Polonais.

Le sentiment qui domine à Lwow, c’est.la haine de l’Ukrainien, ou, comme on dit en Galicie, du Ruthène. Pour comprendre ce sentiment, pas n’est besoin de se rappeler la politique de division savamment pratiquée par le gouvernement de Vienne entre les propriétaires polonais et les paysans ruthènes ; il suffit de regarder la ville. Les Ruthènes l’ont occupée pendant vingt et un jours, du 1er  au 22 novembre 1918 ; et, durant celle courte période, ils se sont vengés du mieux qu’ils ont pu du mépris et des mauvais traitements qu’au cours des siècles passés leur infligèrent leurs anciens maîtres. Plusieurs édifices, entre autres l’Hôtel des Postes, sont entièrement détruits ; les façades de beaucoup d’autres sont criblées de balles de mitrailleuses ; des rues entières sont dépavées, des fondrières marquent la place des tranchées et des barricades.

La comtesse S… qui, selon son expression, fut « Ukrainienne involontaire » pendant ces vingt et un jours, voulut bien me faire le récit des événements dont elle avait été témoin.

— Vous vous rappelez, me dit-elle, qu’une décision de l’Entente avait interdit à l’armée Haller de pousser jusque sur Lwow, où se trouvaient encore les Autrichiens. Le 1er  novembre, ceux-ci évacuèrent clandestinement la ville ; les Ukrainiens y entrèrent la nuit suivante. Nul doute qu’il n’y eût accord entre les uns et les autres : les Autrichiens avaient tout laissé sur place, vivres, armes et munitions. Les nouveaux occupants se conduisirent comme des sauvages. Montés sur des camions automobiles, ils parcouraient les rues, déchargeant leurs fusils sur quiconque apparaissait à une fenêtre. Sous le prétexte le plus futile, ils pénétraient dans les maisons, pillaient et mettaient le feu. Parmi les Ruthènes se trouvaient quelques Allemands ; l’un d’eux s’était établi sur le mont Saint-Jean, butte qui domine un