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populations flamandes et qui les rapprochaient, dans une intimité plus étroite que jamais, de celles de Wallonie. L’unité de la Belgique sortait consolidée de la terrible épreuve qui avait menacé l’existence du pays. Il était avéré qu’une nation bilingue pouvait avoir une seule conscience, une seule âme, une seule volonté. Certes, les événements qui ont bouleversé la constitution de l’Europe et de l’Asie ouvrent, tous les jours, des horizons nouveaux aux philosophes et aux hommes politiques qui veulent discuter après Renan sur les éléments qui composent une nation. Tchéco-Slovaquie, Jougo-Slavie, Pologne, Finlande, Lithuanie, Lettonie, Ukraine, Ruthénie, Irlande, Arménie, Liban, États nouveaux, anciens États restaurés, États en formation, États en puissance, États avortés, nous avons devant nous les exemples les plus variés de créations ou de résurrections nationales ; et à l’appui de la plupart de ces fondations réalisées ou projetées, heureuses ou incertaines, ce sont les considérations historiques, ethnographiques et linguistiques qui ont été invoquées. Or, dans la mesure où le mot race peut avoir une signification scientifique, on a le droit de dire que la Belgique est un amalgame de races très diverses. Elle parle un dialecte germanique et un dialecte latin ; et, pour fondre des populations de langues différentes, elle n’a pas, comme la Suisse, une histoire unitaire déjà longue. Elle est cependant une nation, parce qu’elle a su se faire, dans l’ordre moral comme dans l’ordre matériel, des intérêts communs, parce qu’elle a à défendre un patrimoine d’idées et de sentiments collectifs, et, plus simplement encore, parce qu’elle a la volonté d’être une nation.

Avant la guerre, les traités l’avaient faite neutre et cette neutralité lui était garantie par plusieurs puissances. Elle a appris à ses dépens ce que valait un régime qui portait atteinte à sa souveraineté, sans être réellement favorable au maintien de la paix. C’est d’une de ses garantes, c’est d’une de ses grandes voisines, c’est de l’Allemagne, qu’elle a reçu, par traîtrise, un coup dont elle aurait pu mourir ; et le respect des engagements pris a empêché ses autres garantes de lui porter secours en temps utile. Lorsque le roi Albert et son gouvernement ont, en 1914, répondu par un noble refus aux insolentes exigences de l’Allemagne, il a fallu que, pour passer la frontière, nos troupes attendissent la violation par l’ennemi du territoire belge ; et, quand la marche brusquée des armées allemandes vers Liège nous permit de chercher enfin à remplir notre devoir vis-à-vis de la Belgique, nous nous sentîmes malheureusement paralysés par notre plan de concentration. La neutralité nous avait naturellement empêchés de