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La chose était trop claire. Non seulement la Prusse ne désarmerait jamais, mais encore elle seule, — et non la France de Carnot, comme le prétendaient à tort quelques-uns, — était responsable des charges qui pesaient sur l’Europe. C’est par elle que l’Allemagne était devenue une puissance militaire centralisée, crainte de ses voisins, les forçant à fabriquer des fusils et des canons pour leur défense : « Tout esprit équitable, déclarait von Görne, ne pourra pas contester que c’est l’Allemagne qui a créé cette triste situation… La question est de savoir combien de temps la nation pourra subir un tel régime. » Oui, combien de temps cela durerait-il ? se demandaient anxieusement Franziss et avec lui les particularistes bavarois[1]. Et sans doute si, au lieu de l’Empire, on avait pu constituer une Confédération de l’Allemagne du Sud de tels malheurs eussent été évités. Mais en attendant, la monarchie des Hohenzollern ne changeait pas.

En 1875, les Historisch-politische Blätter approuvaient le Times d’avoir écrit que par ses armements elle ramenait le monde à la barbarie. Les excès du militarisme prussien, à des dates plus récentes, provoquèrent les véhémentes campagnes du Simplicissimus. Il faut voir les caricatures d’officiers croqués d’après nature au-delà de l’Elbe, hobereaux sanglés dans leurs tuniques, haut-bottés et éperonnés, durs et brutaux, n’ayant d’autre vertu que leur dévouement à un souverain en qui d’ailleurs ils reconnaissent le défenseur de leurs intérêts de caste et presque leur complice. Il faut jeter les yeux sur ces images fidèles qui attestent la grossièreté de cette aristocratie d’épée, le ton désobligeant qu’elle affecte avec ses inférieurs, les mauvais traitements qu’elle inflige aux soldats. Et bien au-dessous de ces animaux de proie sans générosité apparaît le peuple de Prusse, abruti au point qu’il en a perdu tout sentiment de sa dignité, démoralisé et moralement diminué par la caserne. Tel est ce militarisme que la Prusse impose à l’Allemagne.

Il est la cause des maux qui l’accablent et surtout de la gêne financière produite par des budgets démesurés. L’art et la science souffrent-ils du régime impérial ? C’est la faute des armements qui détournent les intelligences des libres

  1. Pr. Franziss, op. cit. p. 24 ; cf. aussi p. 28, où l’auteur conteste que la Prusse soit responsable du militarisme, mais où il ajoute que c’est là une opinion très répandue en Bavière, eine in Bayern viel ach verwendente Phrase.